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Pierre Jean Jouve

Arras, 1887 - Paris, 1976

 Un bref parcours biographique

Sources


   La vie de Pierre Jean Jouve est assez mal connue, de par la volonté de l’écrivain. Or Jouve, sous forme parfois claire, mais souvent cachée, a mis beaucoup de lui-même, de son âme et de sa vie dans son œuvre. Son « Journal sans date » de 1954 s’appelle En miroir. C’est un autobiographie très parcellaire où il ne décèle que des aspects très fragmentaires de sa vie. Le peu qu’il dit cache ce qu’il ne dit pas. Ses amis qui ont écrit des biographie ont respecté ses vœux de silence, comme :

René Micha Pierre Jean Jouve, Poètes d'aujourd'hui, Pierre Seghers, 1956, première monographie sur l’écrivain,
Robert Kopp et
Dominique de Roux
Jouve, Cahier de L’Herne, 1972, ouvrage collectif très généreux.
   Les choses ont commencé à changer quand
Daniel Leuwers dans Jouve avant Jouve ou la naissance d’un poète, Klincksieck, 1984, a donné de nombreuses informations inédites sur la première partie de sa vie. Cette biographie s’arrête vers 1928 ; elle ne dévoile sans doute pas tout.
  L’édition des deux gros volumes de
Jouve, Œuvre 1 et 2 en 1987 au Mercure de France.   Jean Starobinski,
éditeur
a publié de nombreux textes inconnus ou inédits et de nouvelles informations. Mais ces informations sont encore lacunaires ; la parution de :
Béatrice Bonhomme Jouve ou la quête intérieure de, Editions Aden, à paraître, 2008
donne de nouvelles clefs sur la vie de Jouve et ses relations étroites avec son oeuvre. On doit cependant  admettre que des pans entiers de la vie de Jouve nous sont encore inaccessibles

Un bref parcours biographique

Enfance

Pierre Jean Jouve est né à Arras le 11 Octobre 1887, dans une famille bourgeoise. Jouve n’a pas aimé son enfance, ni sa ville. Il n’en reconnaît que deux aspects positifs : d’avoir été la ville de Robespierre ­ (Jouve admire les révolutionnaires) et d’avoir été une "vieille ville espagnole". Ses origines de plusieurs régions françaises avec une parcelle d'influence étrangère (espagnole) expliquerait son besoin d'ailleurs.    

Pierre Jean Jouve passe ses premières années à Arras ( René Micha, p 13) , il va au collège et l'exècre. De ses années d'enfance il écrit: "Si la poésie prend racine dans l'enfance , la mienne a pour ainsi dire perdu ses racines . Là-bas tout est embrouillé et confus, en partie oublié " (René Micha op cit p 13) "Tout cela est comme enseveli et ne m'appartient plus particulièrement. Je ne sens pas ma poésie dépendre de mon enfance. Mais cela ne signifie pas que tous les mouvements de l'inspiration aient échappé à sa ténébreuse influence. Je ne puis me penser moi-même que comme adulte, ce qui présente des difficultés bien suffisantes." ( op cit p 14). 

   De santé fragile, Jouve subira à 16 ans une grave opération et connaîtra ensuite plusieurs années de crise dépressive qui l'empêcheront de poursuivre des études universitaires. Il passe alors des années entre la musique et la méditation douloureuse.

   Solitude dans l'enfance et dans l'adolescence par rapport à une famille figée dans ses rôles, un monde bourgeois sévère et une société contraignante: "je revois une enfance généralement triste, selon les coutumes de la bourgeoisie probe et sévère" (EM II 1061). Cela entraîne, de la part de Jouve, un phénomène de repli, associé à une sorte de révolte passive.     

   La solitude le traquera toute sa vie, il n'appartient à aucune école, le monde littéraire et les prix le boudent : "Quant au mouvement contemporain , je m'en sentais séparé par une glace des plus épaisses (EM II 1070)...On voit assez ce qui (...) m'opposait aux productions surréalistes." (EM II 1078). 

Jeunesse

   Adolescent, Jouve découvre le désir pour une femme mariée, la « capitaine Suzanne H. ». À 20 ans il connaît ses premières expériences sentimentales,:"Je m'attachais fugitivement à toutes sortes de jeunes filles. Cependant j'avais déjà connu un amour véritable pour la belle Capitaine H..." ( op cit p 15). En 1906 un ami qu'il nomme "le personnage exerçant l'ascendant", Pierre Castiau ( op cit p 15) lui découvre Rimbaud, Baudelaire et Mallarmé. Il fonde à Lille avec Paul Castiaux et Théo Varlet une petite revue symboliste : Les Bandeaux d'or. On y reconnaît l'influence symboliste: Verhaeren, Maeterlinck, Jammes... En 1909 il rencontre une très jolie jeune fille blonde, Lisbé, qu'il retrouvera en 1933 et qui marquera son œuvre, ce sera l’une des source du personnage d'Hélène. Il a sa première liaison avec une femme plus âgée. Il épouse en 1910 Andrée Charpentier qui est agrégée d'histoire. Le couple s'installe à Poitiers jusqu'en 1915.   

   Durant ces années, Jouve subit l'influence unanimiste (Jules Romains) et des amis de « L’Abbaye de Créteil » (les écrivains René Arcos, Georges Duhamel, Charles Vildrac ; le peintre cubiste Albert Gleizes), il fait une oeuvre humanitaire et raisonnable teintée de tolstoïsme le plus souvent inauthentique.

La guerre de 1914-1918

   Pendant la guerre, Jouve entre comme infirmier volontaire à l'hôpital militaire des contagieux de Poitiers mais, menacé de tuberculose, il est envoyé en Suisse. C'est la période de son amitié pour Romain Rolland (Prix Nobel en 1915), avec l’écrivain Stefan Zweig et le graveur Frans Masereel avec qui il publie des livres illustrés. Il écrit des oeuvres généreuses et pacifistes mais elles l'éloignent de plus en plus cruellement de "son domaine". 

La Crise fondatrice

  En 1921 le poète rencontre la psychanalyste Blanche Reverchon: "celle qui l'appelle et le nomme". Elle lui découvre les abîmes de l'inconscient humain. Son oeuvre en sera définitivement marquée. À cet ébranlement intellectuel s'ajoutent des déchirements sentimentaux puisque Jouve divorce pour épouser Blanche.

   De 1922 à 1925 il traverse une profonde crise intellectuelle qui l'amène à renier, à quarante ans, la totalité de son oeuvre.

   Cette rupture est d'abord d'origine mystique, Jouve ayant la révélation que la grande poésie est d'essence spirituelle et chrétienne : " trouver dans l'acte poétique une perspective religieuse-seule réponse au néant du temps". (En Miroir, Mercure de France 1954 p 29). Ces années sont consacrées à la lecture de textes sacrés: saint-François d'Assise, Thérèse d'Avila, Catherine de Sienne.

   C’est aussi la période où il fait la connaissance de Rainer maria Rilke et de sa compagne, Baladine Klossowska, et des deux fils de celle-ci : Pierre Klossowski avec qui il traduit Hölderlin en 1930, et le jeune Balthus sur qui il écrira beaucoup. Il rencontre aussi le peintre tchèque Joseph Sima qui illustre plusieurs de ses livres (Paradis Perdu, 2ème édition de 1938). Blanche Reverchon devient membre de la société psychanalytique de Paris (SPP) en 1928 et elle sera une proche de Jacques Lacan.

La Rupture

   En 1928 Jouve rejette en bloc toute l’œuvre publiée avant 1925, dans une postface à une première édition du recueil Noces :

"La conversion porte pour moi la date de 1924. Si, comme je le crois, la plus grande poésie et la véritable est celle que le rayon de la Révélation est venu toucher, on me laissera le droit , au moment où je livre au public le poème de Noces, de dire que l'esprit comme la source des livres que j'avais écrits antérieurement me paraissent à présent « manqués »." (EM II 1072).

Jouve cultive la solitude parce qu'il pratique l'art de rompre ("De L'Exil" EM II 1163) :"L'exil dont je veux parler maintenant est l'état d'exil intérieur et de proscription pour cause de nature, de tempérament, forme de pensée ou manière de vivre (E M II 1163). Ma nature est sauvage et presque toujours insatisfaite. Mieux valait l'exil (...) que la compromission.(...) mon père rompit avec son père de façon retentissante (... . J'ai moi-même rompu ,à demi avec mon père. Mon fils a rompu avec moi. Cette suite de ruptures (...) marque tragiquement une lignée" (EM II 1164). Pierre Jean Jouve a rompu également avec sa première femme, avec ses amis Arcos, Duhamel et Vildrac (au moment même où ceux-ci participent à la création de la revue Europe), avec Romain Rolland: "La tendance de rupture n'est pas la haine (...) il s'agissait finalement de mon propre développement et de ma liberté" (EM II 1165).

Cette rupture existe dans l’œuvre également, puisqu'en 1924 Jouve rejette son oeuvre antérieure:" la crise de1922-1925 devait m'amener à faire cet acte de volonté que peu de personnes voulurent comprendre: rejeter, en bloc, tout ce que j'avais écrit et publié jusqu'alors." (EM II 1072).L'artiste qui a fait son oeuvre a, d'après lui, le droit de la retirer du domaine intellectuel par acte de volonté. La conversion date de 1924.

De plus, on peut encore voir une rupture dans le fait qu'après 1935 il n'écrira plus jamais de romans, ce qui confère une grande cohérence à l'ensemble de son oeuvre romanesque: "Je n'ai plus écrit de roman après La Scène Capitale .Toute recherche de sujet s'est terminée par un refus intérieur (EM II 1102). Il est probable que l'explication vraie est à rechercher dans la substance même de la dernière oeuvre, par la culpabilité qui l'avait engendrée ,dont elle s'est nourrie, et qu'elle a laissée derrière elle." (EM II 1103)

Les Années prodigieuses

    De 1925 à 1935 Jouve écrit toute son oeuvre romanesque : Paulina 1880 (1925), Le Monde désert (1926), Aventures de Catherine Crachat (Hécate, 1928 et Vagadu, 1931), Histoires sanglantes (1932), La scène Capitale (Dans les années profondes et La Victime, 1935). Après 1935, il n'écrira plus de romans.

Pendant la même période il atteint des sommets avec ses recueils poétiques : Noces (1925-1931), Sueur de Sang (1933-1935) et Matière céleste (1936-1937).

La solitude est le monde de l'absence, le désir est un monde d'absence-présence. Le désir est marqué par un sentiment de manque, d'incomplétude mais aussi par une force d'écriture. Plus importante encore que l'objet du désir, la phrase du désir prend ici toute sa valeur créative. Dans l’œuvre de Jouve le désir s'appelle Éros, mélange des forces de l'érotique et de l'interdiction judéo-chrétienne. Jouve utilise l'Éros comme matière d’œuvre d'art.

La Guerre de 1939-1945

   Dès avant-guerre Jouve a senti la montée du nazisme, la « catastrophe » : il publie des poèmes où se mêleront résistance à l’occupation allemande et expérience spirituelle : Kyrie (1938), La Vierge de Paris (1942-1946). Il passe la guerre en exil en Suisse où il publie aussi des essais sur l’art et la littérature (Le Tombeau de Baudelaire, 1941 ; Défense et Illustration, 1942) et sur la musique (Le Don Juan de Mozart, 1942).

Après la guerre

   Revenu à Paris, Jouve poursuit son approfondissement spirituel et poétique avec Diadème (1949), Ode (1950), Mélodrame (1957), Proses (1960), Moires (1962). Il publie aussi un important essai sur le Wozzeck d’Alban Berg (avec Michel Fano, 1953). Avec En miroir - Journal sans date (1954) Jouve écrit une sorte d'autobiographie spirituelle et intellectuelle où Jouve ne nous présente qu’une part de sa vie et de son œuvre, laissant beaucoup dans l’ombre.

Les bilans

   A partir de 1958, Jouve réédite ses œuvres, souvent en les retouchant. En 1958 : son essai Le Tombeau de Baudelaire. De 1959 à 1962, il réédite ses romans. De 1964 à 1967, ses poèmes. Blanche Reverchon meurt en 1974, et Jouve en 1976, deux ans après, jour pour jour.

Références


( I ) Œuvre I, Mercure de France, édition de Jean Starobinski, 1987
( I I) Œuvre II, Mercure de France, édition de Jean Starobinski, 1987

(EM II) En Miroir, Journal sans date, 1954, réédition dans Œuvre II

René Micha, Pierre Jean Jouve, Pierre Seghers éditeur, 1956
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Dernière mise à jour : 6 avril 2008
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