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Lectures de
Pierre Jean Jouve

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André Breton 

et Pierre Jean Jouve

 
LA GRANDE ACTUALITE POÉTIQUE

par Dominique Rabourdin

 Il peut sembler paradoxal   Il peut sembler paradoxal d’associer Pierre-Jean Jouve à André Breton ou au surréalisme. Jouve n’est d’aucune manière surréaliste. Son nom n’apparaît ni dans les diverses biographies de Breton, ni dans les histoires du surréalisme. Et c’est à peine s’il est mentionné dans la bibliographie de Breton : les références à Jouve y sont très rares. Ce qui ne l’a pas empêché d’être très admiré par des proches de Breton – et du surréalisme- comme Joë Bousquet, André Masson, Paul Eluard, plus tard par André Pieyre de Mandiargues et Yves Bonnefoy. Breton, pour sa part, et quelles que soient leurs divergences, a reconnu en Jouve un poète.  Les deux hommes se sont évidemment envoyés et dédicacés leurs livres : on retrouve dix-sept titres de Jouve, de la première édition de Sueur de sang, en 1933, à Inventions, en 1958, dans le catalogue de la vente de la bibliothèque de Breton (ce qui prouve qu’il avait tenu à les conserver), avec des dédicace extrêmement élogieuses et sans banalité. « Pour André Breton à quelques profondeurs avec un admiratif hommage », est-il inscrit sur cette première édition de Sueur de sang. « A André Breton, qui honora ce livre de son amitié, en admiration et sympathie » pour la réédition du même livre en 1955. De son côté, Breton a (très vraisemblablement) envoyé certains de ses livres à Jouve. Nous ignorons malheureusement en quels termes. Ont-ils eu une correspondance ? On n’en a pas davantage retrouvé trace. 
Jouve n’apparaît pas  Jouve n’apparaît pas au sommaire des nombreuses revues dirigées par Breton, sauf si l’on considère Minotaure comme une revue surréaliste, ce qui n’est pas exactement le cas. Si Breton évoque Jouve à deux reprises dans ses « Entretiens », c’est avec réserves :
-En 1952, en réponse à une question d’ André Parinaud sur son attitude et la place de la poésie pendant la première guerre mondiale, il précise : 
En 1952

« Comment…n’aurais-je pas été tenté de demander secours aux poètes : que pensaient-ils de l’effroyable aventure ?  Que devenaient les valeurs qui pour eux avaient primé toutes les autres ?Par exemple, il n’avait été question, durant les années précédentes, que de briser tous les cadres fixes, que de promouvoir la plus grande liberté d’expression : qu’allait - il en devenir par ce temps de bâillons sur toutes les bouches, sinon de bandeaux sur tous les yeux ?...Je ne parlerai pas des poètes – ou se donnant pour tels – dont le premier soin fut…d’épouser le moral de la nation (les Régnier, les Péguy, les Claudel) et d’entonner le gloria de circonstance. D’autres se taisaient : c’était peu, mais c’était tout de même bien préférable. De très rares accents humains percèrent plus tard mais mal, soit qu’on les étouffât, soit qu’ils n’eussent pas le timbre voulu (je pense, en particulier, aux premiers recueils de Pierre-Jean Jouve) : ils ne me furent personnellement d’aucune aide ».

- En 1941, au début de la seconde guerre mondiale, à New York, en réponse cette fois à une question de Charles-Henri Ford pour View, « Avez-vous déjà rêvé de Hitler ? » :
En 1941

« Ce serait un beau sujet d’enquête. A condition d’être étendue au grand nombre, je crois qu’elle aiderait à élucider les aspects psychologiques les plus troublants de cette guerre .Avant même qu’elle ne commençât, je n’avais pas vu sans inquiétude certains esprits tendre à détacher Hitler du plan de la réalité et lui prêter des moyens extra -humains pour expliquer ses succès. C’est ainsi que le poète Pierre-Jean Jouve n’a pas craint de l’identifier à l’Antéchrist et que l’opinion commune, en France par exemple, a d’emblée accordé un intérêt suspect à ce qui se conte de plus frappant à son sujet… » 

- En 1941, au début de la seconde guerre mondiale, à New York, en réponse cette fois à une question de Charles-Henri Ford pour View, « Avez-vous déjà rêvé de Hitler ? » : « Ce serait un beau sujet d’enquête. A condition d’être étendue au grand nombre, je crois qu’elle aiderait à élucider les aspects psychologiques les plus troublants de cette guerre .Avant même qu’elle ne commençât, je n’avais pas vu sans inquiétude certains esprits tendre à détacher Hitler du plan de la réalité et lui prêter des moyens extra -humains pour expliquer ses succès. C’est ainsi que le poète Pierre-Jean Jouve n’a pas craint de l’identifier à l’Antéchrist et que l’opinion commune, en France par exemple, a d’emblée accordé un intérêt suspect à ce qui se conte de plus frappant à son sujet… » Jouve s’est bien gardé de nommer Hitler, mais il est impossible de ne pas le reconnaître. Ce qui dérange Breton, c’est le côté ouvertement chrétien de la série de poèmes intitulés Les quatre cavaliers - en référence à l’apocalypse - avec des vers comme
Kyrie
Gallimard, décembre 1938

« Quand nous vivons tout plats sous les gouttes de sang

« Quand la division est l’œil de la terre

« Quand l’anté-Christ a casquette noire à visière ».

Mais en décembre1934

    Mais en décembre 1934, dans un texte important publié dans le numéro 6 de Minotaure, La Grande actualité poétique, Breton avait non seulement salué  « la très belle tenue poétique (c’est lui qui souligne poétique) de sa profession de foi :«  Inconscient, spiritualité et catastrophe », placée en tête, l’année précédente, de la première édition de Sueur de sang,  mais reproduit trois poèmes de Jouve, Gravida, Sur la Pente et La Bouche d’ombre, à côté d’un choix de poèmes « surréalistes »de Gisèle Prassinos, Benjamin Péret, Paul Eluard et d’un long extrait de son grand poème d’amour L’Air de l’eau,  précédés de cette longue citation d’Inconscient, spiritualité et catastrophe :

Les poètes qui ont travaillé depuis Rimbaud ...

(Avant-Propos de Sueur de Sang, version de 1934)

… « Les poètes qui ont travaillé depuis Rimbaud à affranchir la poésie du rationnel savent très bien (même s’ils ne croient point le savoir) qu’ils ont retrouvé dans l’inconscient, ou du moins la pensée autant que possible influencée de l’inconscient, l’ancienne et la nouvelle source, et qu’ils se sont approchés par là d’un but nouveau pour le monde. Car nous sommes, comme le dit Freud, des masses d’inconscient légèrement élucidées à la surface par la lumière du soleil ; et ceci, les poètes l’ont dit avant Freud : Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé, enfin Baudelaire. Dans son expérience actuelle, la poésie est en présence de multiples condensations à travers quoi elle arrive à toucher au symbole – non plus contrôlé par l’intellect, mais surgi, redoutable et réel. C’est comme une matière qui dégage ses puissances. Et par le mode de sensibilité qui procède de la phrase au vers et du mot utilitaire au mot magique, la recherche de la forme adéquate devient inséparable de la recherche du fond. Que la poésie s’avance donc dans l’ « absurde » comme ils disent !... »

Rien d’étonnant à ce que Breton

   Rien d’étonnant à ce que Breton, comme, peu auparavant, Joë Bousquet dans Lumière, Infranchissable Pourriture (daté d’août 1934 et publié en 1935 dans les Cahiers du sud) ait été sensible à la superbe hauteur de ce message et qu’il ait tenu à le rapprocher de « la voix toujours émouvante de Pierre Reverdy » (dont il cite Note éternelle du présent) dans ce bel article intitulé, rappelons-le, La grande actualité poétique. On ne saurait mieux dire, même si ce ne fut pas du goût de certains surréalistes qui n’apprécièrent que très modérément la présence de ces deux voix –jugées discordantes - à côté des leurs. 

A la fin de sa vie, Breton

A la fin de sa vie, Breton n’hésitait toujours pas à recommander à ses jeunes amis de lire Jouve. Car c’est un poète, leur disait-il.

Dominique Rabourdin

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Vous pouvez entendre  Dominique Rabourdin sur le Site des Éditions Montparnasse à propos de Un Chien Andalou

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Dominique Rabourdin, écrivain, cinéaste, critique, éditeur (directeur des collections « Cinéma de toujours », « Ramsay poche cinéma », « La Bibliothèque surréaliste ») a publié :
- Vincente Minelli , de Broadway à Hollywood, avec Patrick Brion et Thierry de Navacelle (voir aussi le Site Argyro)
- Truffaut par Truffaut, Éditions du Chêne
- Sautet par Sautet, avec N.T. Binh,  Éditions de La Martinière (prix 2005 du meilleur abum du Syndicat Français de la Critique de Cinéma).
- Rédition en fac-simile (éditions Dilecta) de Proverbe - 6 numéros Février 1920 - juillet 1921
- Collaboration au catalogue de l'exposition Prévert de la Mairie de Paris
- Cinéma surréaliste, à paraître

Dominique Rabourdin a réalisé de nombreux documentaires sur des écrivains, des artistes et des cinéastes, en particulier dans la série « Océaniques » de Pierre-André Boutang. 
- Serge Daney, itinéraire d'un ciné-fils, avec Pierre-André Boutang et Régis Debray
- Breton par BretonDu temps que les surréalistes avaient raison, Souvenirs de l'Age d'or (avec Michel Pamart)
- La Révolution surréaliste (avec Pierre Beuchot)
- Krzysztof Kieslowski – Dialogue autour du Décalogue (avec Pierre-André Boutang )
- Itinéraire de Roger Caillois (avec Nicolas Stern)
- Huit films de la série "Les Belles étrangères" avec le Centre National du Livre

Il a été rédacteur en chef de « Metropolis » de 1995 à 2006.

Dernières réalisations :
- Quelques jours avec Sirk (avec Pascal Thomas)
- Michel Bouquet : ma vocation d'acteur, en 2009
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Sous la Responsabilité de Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert

Ce texte ©  Dominique Rabourdin

Première mise en ligne : 11 janvier 2010
Dernière mise à jour : 20 Janvier 2010