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Jouve 2021 |
Béatrice Bonhomme, Machteld Castelein,Dorothée Catoen-Cooche (direction)
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L’ouvrage Pierre Jean Jouve, au carrefour des mondes modernes et contemporains, dirigé par trois spécialistes de l’oeuvre de Pierre Jean Jouve, permet de dresser cette oeuvre, aussi suspecte qu’admirée, entre cathédrale et mythe, comme un moment crucial de notre modernité, descendant, d’une part, de Baudelaire, Mallarmé ou encore Edgar Poe, rencontrant des oeuvres soeurs comme celle de Bataille et fondant, d’autre part, notre contemporain, celui de nos poètes, écrivains, peintres et compositeurs. Ont contribué à cet ouvrage : Rim Amira, Jérémie Berton, Marie-Antoinette Bissay, Béatrice Bonhomme, Machteld Castelein, Dorothée Catoen-Cooche, Stéphane Cunescu, Éric Dazzan, Maxime Deblander, Armando Del Romero, Pierre-Marie Deparis, François Lallier, Géraldine Lombard-Violino, Jean-Paul Louis-Lambert, Serge Meitinger, Anis Nouaïri, Marion Pélissier-Mouillet, Aaron Prevots, Françoise Salvan-Renucci, Myriam Watthee-Delmotte. Publié le 16 novembre 2023, 474 pages, collection Thyrse (N° 21), Éditions L'Harmattan |
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L’ouvrage
Pierre Jean Jouve au carrefour des mondes modernes
et contemporains
permet de dresser cette œuvre, aussi suspecte qu’admirée,
entre cathédrale et mythe, comme un moment crucial de notre
modernité, descendant, d’une part, de Baudelaire, Mallarmé ou
encore Edgar Poe, rencontrant des œuvres sœurs comme celle de
Bataille ou de poètes-compositeurs comme Scriabine, et d’autre
part fondant notre contemporain, celui de nos poètes,
écrivains ou chanteurs comme Yves Bonnefoy, Claude
Louis-Combet, Michèle Finck, Marie Étienne, Pierre-Alain
Tâche, Heather Dohollau, Franck Venaille, Salah Stétié,
Adonis, ou encore Thiéfaine, pour ne citer que quelques-unes
de ces voix fécondées par l’œuvre magistrale de l’écrivain.
Outre ces voix poétiques, Pierre Jean Jouve emprunte et
irradie également dans les domaines musicaux et picturaux.
Pensons à des peintres comme Balthus, des dessinateurs comme
André Rouveyre, des surréalistes comme Dali, l’œuvre de Jouve
restant, en amont comme en aval, en lien étroit avec le
domaine artistique et jouant un rôle central dans le panorama
de la pensée et de la création modernes et contemporaines.
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L’ouvrage s’ouvre sur l’avant-propos de Myriam Watthee-Delmotte évoquant Romain Rolland, lui qui soulignait qu’« on ne lit jamais un livre. On se lit à travers le livre, soit pour se comprendre, soit pour se contrôler » (L’Éclair de Spinoza). La postérité d’une œuvre témoigne donc de ce que le lectorat investit de lui-même dans le travail de l’écrivain. En illustration de ce phénomène, ce texte prend la forme d’une lettre pleine d’émotion et de poésie adressée à Jouve lui-même. La lectrice, devenue elle-même autrice, pointe comment, dans l’ensemble des écrits jouviens, la question essentielle demeure : comment poursuivre après l’effondrement ? Elle revient sur la subtilité du lien entre l’élaboration littéraire et le vécu de l’homme, nuançant en particulier l’importance de la rupture comme clé de lecture car cette œuvre contient aussi, selon Jouve lui-même, « une permanence, celle de l’émotion positive, de l’émerveillement » l’écrivain ayant le don de traduire les fractures tout en s’accordant à un souffle. |
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Au
sein
d’une première partie intitulée Lien
avec
la musique et l’art pictural,
Jérémie
Berton,
dans son article intitulé « Musique(s) de Pierre Jean Jouve
: le poème démesuré », se propose de placer la Musique au
centre d’un idéal de sublimité gouvernant l’ensemble de
l’œuvre poétique composée par Pierre Jean Jouve. Il y montre
comment l’héritage de Romain Rolland, diffus au premier
abord, sert de pierre d’achoppement à une conception
musico-poétique qui prendra appui sur le motif de la
consolation. Puis il étudie comment ce motif de la
« musique consolatrice » se renverse, formant
progressivement une seconde mineure de la poésie, se plaçant
à l’intervalle du son et du sens en venant mettre en tension
« irrésolue » le matériau poétique. Cette tension
rencontrera, pour Pierre Jean Jouve, le sens absolu d’une
projection mystique de deux forces, de deux formes, l’une
contre l’autre, dont le poème, chaque fois recommencé, est
toujours révélateur d’un double jeu de l’inconscient et de
la lyrique. |
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Françoise Salvan-Renucci, quant à elle, décrit le
dialogue implicite mené avec Pierre Jean Jouve dans les
textes de H.F. Thiéfaine et connaissant une nouvelle
déclinaison dans Géographie du vide, l’album de 2021 qui se
consacre en priorité aux thèmes jouviens tels que l’enfer et
le paradis, Dieu et le Diable, avec l’omniprésence d’un Éros
blasphématoire et mortifère, tout à la fois porteur d’un
élan vital irrépressible s’exhibant jusque dans l’effroi
suscité par les « prédatrices ». L’alliance de la
musique et de la mort proclamée par Jouve au détour de
nombre de ses poèmes est célébrée par Thiéfaine sur un mode
polysémique et jubilatoire à travers la réaccentuation
sous-jacente des formulations jouviennes – accompagnée de
leur intégration dans l’entrelacement intertextuel complexe
du corpus thiéfainien. Ces vers jouviens connaissent ainsi
une « résurrection » éclatante, dans laquelle se réaffirme
la permanence de l’affinité qui unit les deux auteurs.
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De
son
côté, le propos de l’article de Armando
Del
Romero
est de rapprocher Jouve et Scriabine, deux artistes liés par
des affinités mystiques et par une modernité destinée à
détruire le truchement psychologique du langage poétique et
musical du romantisme. Cependant, s’ils partagent la même
aspiration, encadrée par les paysages dramatiques des Alpes,
l’avènement de leurs destins finit par les séparer. Là où
Scriabine fait profession de foi nietzschéenne, dansant et
créant en tant qu’esprit libérateur du monde, Jouve se
déchire dans sa tentative d’ascèse, entre le Ciel et la
Faute. Cela conduit ces deux auteurs vers les horizons
opposés de l’arbitraire triomphant et de l’abandon. |
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Pierre-Marie Deparis ancre sa communication sur une
carte postale, inédite, adressée par Pierre Jean Jouve à
Jean-Paul Lafitte, peintre d’origine nordiste installé à
Paris. Jouve lui demande la communication du livre, Le
Gynécée, qui vient de paraître au début de 1909,
album composé de planches dessinées par André Rouveyre
figurant des nus féminins dans des poses érotiques
expressives, avec une préface de Remy de Gourmont. On sait
que Jouve se trouve dans « un orageux tourment à Paris en
1909 »
et tout se passe comme si ce livre répondait
merveilleusement aux attentes de Jouve et cautionnait ses
fantasmes que l’on trouvera clairement exprimés
ultérieurement dans Les Beaux Masques. La lecture du Gynécée
a-t-elle encouragé la
réalisation par Jouve de dessins érotiques ou
fantasmatiques, découverts dans le commerce d’art, il y a
quelques années ? Cela semble fort probable, même si
l’auteur se garde bien d’évoquer ce livre.
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Dans
son
article, Géraldine Lombard-Violino nous montre non pas l’influence
que Jouve a pu avoir sur les peintures de Balthus, mais
plutôt les convergences des deux créateurs, en mettant en
parallèle des extraits de ses romans ou poèmes avec quelques
tableaux du peintre qu’il admirait et réciproquement. Les
deux hommes n’ont jamais cessé, même après le départ de
Balthus pour la Suisse, de poursuivre une conversation
souterraine à travers leurs œuvres respectives. Tous deux
étaient épris de beautés invisibles, cachées dans le silence
de la vie intérieure. Nous analysons les convergences
thématiques (sur l’érotisme, le mystère notamment), mais
aussi les différences (sur la mort et la perception du
temps), entre ces deux artistes liés par une amitié vraie,
les hommages respectifs, plus ou moins explicites, parsemant
leurs créations. |
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Rim Amira établit un rapprochement entre
l’écriture jouvienne et l’esthétique surréaliste, ce qui
reste problématique. Jouve déclare, en effet, ne pas être un
auteur surréaliste et explique très clairement ce qu’il
reproche au surréalisme. Toutefois, l’imaginaire jouvien et
celui d’André Breton font l’objet de croisements évidents
qui se manifestent dans certaines figures rhétoriques, dont
l’anamorphose. Ce croisement stylistique est analysé à
partir de la notion de « déformation », notamment la
déformation du temps, déployée pour faire exister le
personnage de La Petite X dans Vagadu.
Le même phénomène est observé dans le tableau intitulé La
Persistance
de la mémoire
de Salvador Dali. Cette confrontation révèle une forte
adéquation entre les deux visions artistiques à la fois sur
le plan du contenu et sur le plan de l’expression, cela
conduisant à se poser à nouveau la question du rapport de
Jouve et du surréalisme, mais dans un sens inverse en
s’interrogeant sur l’apport de l’écriture jouvienne sur la
conception formelle et thématique du surréalisme.
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Béatrice Bonhomme explique que Jouve pourrait
apparaître surtout comme un poète « masculin »
véhiculant des mythes sur la femme, porteuse de faute
érotique et de mort... Cette image de Jouve qui peut
provoquer agacement, voire rejet, à la lecture de textes
qu’on peut considérer comme profondément misogynes, est
pourtant largement à nuancer, Jouve portant en lui une femme
intérieure, « la femme noire de Léonide », et son
œuvre s’appuyant également sur le mythe de l’androgyne.
C’est peut-être pour cela que des poètes femmes
contemporaines restent profondément attachées à l’œuvre de
Jouve qu’elles considèrent comme importante et fédératrice
pour leur création. Il suffit, pour le montrer, de s’appuyer
sur les œuvres de Marie Etienne et de Michèle Finck.
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L’article
d’Éric Dazzan envisage les rapports entre
l’œuvre de Pierre Jean Jouve et celle de Claude
Louis-Combet. Il s’agit moins de repérer une influence du
premier sur le second que de mettre au jour une communauté
d’expérience et de conception de l’écriture dans son rapport
à la transcendance et à la transgression. La première partie
de l’article met en parallèle Blesse ronce noire de Claude Louis-Combet et Le
Paradis perdu
de Pierre Jean Jouve, la figure du frère et celle de Satan :
les corps blessés de la sœur et d’Ève deviennent le lieu où
accède à la conscience de lui-même un désir d’écriture (de
parole) qui est désir de retour en amont. La seconde partie
a pour point de départ le texte dans lequel Combet évoque
l’œuvre de Jouve et ce qui lui en est resté, « un certain
climat, une tension du verbe, une écharde dans l’esprit ».
Elle tente de définir les enjeux de l’écriture jouvienne et
de sa violence. |
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Machteld
Castelein
montre que depuis sa lecture de Dans
les
années profondes,
le poète suisse Pierre-Alain Tâche (1940, Lausanne) est
resté pendant quarante ans fasciné par la figure d’Hélène.
La trajectoire de cette longue fréquentation est parcourue
ici dans une perspective psychanalytique. Deux étapes s’y
laissent distinguer : d’abord, celle qui est appelée «
Hélène de S. »
représente la « chose »
que Tâche dispute à Jouve dans un rapport œdipien ; ensuite
se développe une Hélène « propre », mais
comparable à celle de Jouve (intégrant notamment son mythe
de l’imbrication d’Éros et de Thanatos), qui, désignée par
son seul prénom, devient « le symbole de l’invention
poétique et de la compréhension du monde »
(Stéphanie Cudré-Mauroux). L'oeuvre se développe selon deux
lignes, l’une géographique (qui explore le lieu d’Hélène, de
l’Engadine à Carona puis à Anniviers), l’autre romanesque
cherchant à pourvoir Hélène d’un corps sensuel ; leur
aboutissement est un lieu que l’écriture a mis hors
d’atteinte et un corps que le poète n’a jamais possédé qu’en
paroles. |
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Aaron Prevots se propose d’étudier
l’influence de Pierre Jean Jouve sur Heather Dohollau
(1925-2013), poète originaire du pays de Galles qui a
longtemps vécu en France et qui a noué une amitié avec Jouve
dans les années 1960. Il s’agit de traversées de l’intime
dans leurs œuvres respectives, et ainsi de perspectives et
de procédés qui innervent l’extrême contemporain. À partir
de quelques textes critiques de Dohollau sur Jouve, puis
d’une lecture en miroir de certains poèmes, le critique
présente l’hypothèse que l’œuvre de Jouve sert souvent de
modèle à Dohollau en ce qui concerne la découverte de soi et
du monde. Il est donc question de convergences sur divers
plans : style et thématique, visées et cadences. On verra
que pour ces deux écrivains l’invisible ne peut exister sans
l’intime, l’être sans l’énigme, l’unité sans la rupture. |
1 Patrick Née, « Entretien avec Michèle Finck », RevueNU(e) n° 69, numéro coordonné par Patrick Née, direction BéatriceBonhomme, mise en page Danielle Pastor, revue en ligne, 2019, p.14-15. |
Pour
Marie-Antoinette Bissay, Pierre Jean Jouve évoque le
pouvoir mystérieux et envoûtant de la Musique dès le début
de En miroir. Journal sans date et lui consacre, à la fin de
cet écrit, des pages spécifiques afin de montrer que la
musique se place au commencement de la création poétique et
constitue l’impulsion vitale qui fait advenir les mots
intimes en poèmes. Comme Pierre Jean Jouve, Michèle Finck a
d’abord été saisie par la musique qui a constitué une
révélation quand elle a « compris obscurément que [sa] vie
se jouait là, dans l’intervalle fécond entre poésie et
musique (...), que le double rythme poésie/musique [était]
la systole/diastole de [sa] vie1. » Pour ces deux poètes, la
venue à l’écriture poétique passe donc obligatoirement par
la musique avec l’impossibilité, dans un premier temps, de
s’en détacher car la musique habite les poètes autant que
les poètes l’habitent. Lire conjointement les œuvres de ces
poètes permet de voir le cheminement commun qu’ils ont
effectué depuis leur entrée en poésie et de comprendre le
rôle joué par la musique ainsi que sa mise à distance
obligatoire pour laisser advenir l’écriture poétique. Lire
les poèmes de Michèle Finck en regard des œuvres de Pierre
Jean Jouve permet également de mesurer la postérité de
l’œuvre jouvienne au sein de la poésie contemporaine. |
L’article
de
Stéphane Cunescu explore la filiation littéraire
entre le poète contemporain Franck Venaille et Pierre Jean
Jouve. La reprise du titre de l’ouvrage autobiographique de
Pierre Jean Jouve intitulé En miroir sert de fil conducteur à cette
étude, qui entend retracer la façon dont Franck Venaille se
réapproprie le matériau poétique jouvien à travers un
processus d’identification et une mise en scène auctoriale.
Après avoir étudié la réactualisation de certaines grandes
thématiques jouviennes (l’érotisme, la psychanalyse,
l’opéra), l’étude s’intéresse aux collages et réécritures
d’incipit de Jouve (dans Paulina 1880 et Hécate)
par Franck Venaille. En interrogeant l’œuvre de Franck
Venaille sous le signe de la postérité jouvienne, cette
contribution s’approche plus généralement des mécanismes
intertextuels de reprise et de réécriture qui caractérisent
la poésie des XXe et XXIe siècles.
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D’après
François Lallier, un des poètes qui a contribué
à former l’idée que se fait de la poésie le jeune Yves
Bonnefoy, est Pierre Jean Jouve. Ils se rencontrent tard
(1953) et commence alors une relation qui sera interrompue
assez vite (1958), non sans que reste, au moins chez Yves
Bonnefoy, une attention latente, se manifestant de façon
inattendue dans son dernier livre. Le présent texte étudie
les divers aspects de cette relation complexe. |
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L’étude
d’Anis Nouaïri interroge l’influence qu’a pu
exercer Pierre Jean Jouve sur la poésie arabe contemporaine
de langue française et de langue arabe. Elle aborde en
particulier les œuvres de Salah Stétié, poète libanais de
langue française, et d’Adonis, poète syrien de langue arabe,
pour tenter de mettre en évidence l’existence de
ramifications jouviennes chez ces écrivains, de même que
chez d’autres poètes arabes contemporains comme Abbes
Beydoun. Traitant de la traduction en arabe de certains
poèmes jouviens, elle s’intéresse aussi à la traduction en
tant qu’ouverture sur l’acte créateur.
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Dans
la
troisième partie qui se consacre à Jouve dans l’histoire, Maxime
Deblander
interroge la posture antidémocratique de l’écrivain mise en
avant par certains exégètes, ainsi que l’exigence guidant sa
création tout comme son refus de respecter les codes de
l’institution littéraire. Après avoir multiplié les
allégeances (au symbolisme, à l’unanimisme, à l’art social,
au pacifisme) au cours d’une première période de création,
Jouve orchestre en effet sa « vita nuova » en
marge des conditions qui favorisent la consécration d’une
œuvre : point de diffusion à large échelle, point
d’affiliation à une école, point de formes attractives sur
le marché de la librairie. Dans ce contexte, en jetant des
ponts entre l’œuvre reniée (1909-1925)et l'oeuvre officielle
(1925-1967), l'enjeu de cette analyse est de montrer que le
peu de visibilité dont la production jouvienne fait
aujourd’hui l’objet est la conséquence non seulement du
refus de l’écrivain de se placer derrière une école ou un
courant, mais aussi de la structure profonde de son œuvre
marquée par une logique particulière de reniement et
court-circuitant la manière dont l’historiographie
représente d’ordinaire les ruptures en littérature. Un tel
travail invitera à revoir l’image que nous nous faisons de
l’œuvre jouvienne et à réexaminer les outils qu’utilise
d’ordinaire l’histoire littéraire pour penser ces ruptures
qui apparaissent dans les trajectoires de nombreux
écrivains. |
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Jean-Paul Louis-Lambert. Une recherche sur les noms des
trois héros de La Victime de La
Scène capitale
de Pierre Jean Jouve – Waldemar, l’étudiant
« fou » ; Simonin dit « Bras de
fer », l’étudiant « sorcier » ;
Dorothée, la « jeune fille » ou
« Gravida » –, amène le lecteur au-delà des
figures anonymes du Propos
de table
de Luther mis en exergue. Le thème de la
catalepsie
associé à un magnétiseur ainsi que deux noms,
« Valdemar » et « Theodor » (une
« métathèse » de Dorothée), renvoient à une Histoire
extraordinaire d’Edgar
Poe.
L’esthétique gothique du récit nous oriente vers le
Romantisme allemand. D’abord, une rencontre dans la rue
évoque le Faust de
Goethe, donc Méphisto, c’est lui le démon caché derrière
Simonin (le Sorcier des Actes des Apôtres) dit « Bras de fer »,
c’est-à-dire Lucifer.
Ensuite c’est Alban qui est suggéré, « Le
Magnétiseur » en diable-basilic du Conte
fantastique
d’E. T. A. Hoffmann (prénom d’usage : Theodor). Enfin, le diable-basilic a
été représenté par Christophe Haitzmann, le peintre
« possédé » du XVIIe siècle, psychanalysé en 1923
par Sigmund Freud, qui a également analysé la suspecte Gradiva
de Jensen. Tous ces textes ont
été lus et médités par Jouve. Une comparaison
structurale
montre qu’ils illustrent tous un même propos :
l’inceste (ici sororal) conduit à des tragédies.
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Dans
la
quatrième partie, Au cœur de l’œuvre, Machteld
Castelein
évoque le diptyque de La Scène
capitale (1935) lorsqu’il se transforme en triptyque
(1948/1961), structure dramatique étant ainsi créée, dont La
Victime
constitue le « nœud » et Dans
les
années profondes
le « dénouement ». L’« histoire du
diable », empruntée à Luther, prépare donc le récit
« céleste » qui lui fait suite. Elle s’ouvre en
effet sur une perspective de salut, engageant l’auteur
lui-même, dans la mesure où Simonin apparaît comme son
représentant, et l’aspiration au sacerdoce pouvant être lue
comme un désir d’entrer en poésie. Abordée d’un point de vue
psychanalytique, la « scène capitale » du péché
érotique est interprétée ici comme œdipienne : il
s’agit de (ré)instaurer, à travers une castration
symbolique, l'ordre Symbolique du Langage, régi par le
Nom-du-Père, mais facilité par la Mère qui y prête sa chair.
Si Waldemar représente le désir (œdipien) refoulé de
Simonin, l’objet ultime de ce désir (la femme offerte par le
Père et offerte à lui, c’est-à-dire Dorothée) se manifeste à
travers le symbole même mis en place pour l’empêcher
d’advenir : Gravida préfigurant la Mère ; la « fausse
morte – fausse vivante » anticipe ici sur la vraie
Morte, vraiment vivante. |
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Jean-Paul Louis-Lambert démontre
que, de façon surprenante, on ne connaît aucun lien direct
entre Pierre Jean Jouve et Georges Bataille, alors qu’ils ne
manquaient pas d’amis communs (André Masson, Jacques Lacan,
Pierre Klossowski, Balthus, Jean Wahl, GLM), surtout si on
tient compte du rôle important de l’épouse psychanalyste de
l’auteur : Blanche Reverchon. Des chercheurs ont déjà
montré la proximité de certaines thématiques chez ces deux
écrivains autour du sacré, du sexe, de la mort, de
l’inceste. La présente enquête suggère, d’un côté, que dans
ses écrits, Jouve a pu réagir à des textes de Bataille
(« La chose rouge dans les cheveux » Vs
« L’œil pinéal »), et, d’un autre côté, que trop
de points communs apparaissent entre Ma
mère
de Bataille (1954) et Dans les années profondes de Jouve (1935) pour que cela
reste anodin. Une trentaine d’items sont ainsi examinés,
comme des similitudes entre certaines formulations et des
rencontres, en particulier entre « Pierre
Angelici » et « Léonide » (via « Pierre
Indemini ») et entre les « Hélène », ces
mères communes aux deux récits. Bataille avait-il un
exemplaire de La Scène capitale posé sur sa table de
travail ? |
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D’après
Rim Amira, l’œuvre cathédrale est
utilisée par Jouve pour rendre compte de la solidité de son
monument dans sa globalité. L’étude des personnages dans le
cycle romanesque montre ainsi le fondement de cette
architecture. Les protagonistes jouviens sont des éléments
mobiles qui se déplacent d’un roman à l’autre tissant ainsi
un fil conducteur qui traverse les cinq récits narratifs. Ce
n’est pas par hasard que nous retrouvons Paulina dans Le
Monde
désert
ou encore Luc Pascal dans Vagadu.
À travers ce phénomène textuel, le romancier-poète envisage
une structure toujours plus vaste que le roman en lui-même.
Le personnage d’Hélène est le point culminant de cette
intertextualité qui installe une continuité évidente, voire
vitale, entre l’œuvre romanesque et l’œuvre poétique. Ce
fonctionnement particulier des personnages participe
activement à engendrer l’imaginaire jouvien car ils
deviennent des symboles récurrents permettant d’introduire
et ensuite de véhiculer des idées et des notions comme la
faute, la culpabilité, la création artistique...
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Marion Pelissier montre comment Pierre Jean
Jouve part de la catabase du mythe antique pour créer une
poésie où la femme prendra une place prépondérante et où le
mythe d’Orphée revisité devient celui de la femme lui-même.
On peut ainsi dans Matière céleste mettre en exergue la descente
aux enfers assimilée à un vide que le poète appelle
« le Nada », représentant les forces passives de
l’inconscient. Grâce à cette catabase, le poète devient un
être nouveau où la partie masculine s’associe à la partie
féminine dans une sorte d’androgynie mise au service de la
création poétique. Le mythe est ainsi en constante évolution
au sein d’une quête spirituelle au cours de laquelle il
s’agit de recréer en permanence un paradis perdu, ceci
restant lié à un contexte de guerre où la poésie constitue
une réaction face à la catastrophe.
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Serge Meitinger propose des notices rédigées
sur La Louange (1945) et Hymne
(1947), anticipant la version de
1965. Au sortir de la guerre, après les affres de la
destruction, vient le temps de la paix qui n’est toutefois
pas « la paix du cœur », mais plutôt la prise en
compte amoureuse et religieuse des sacrifices endurés et
acceptés. L’image de la femme comme médiatrice opère
vivement, mais elle représente aussi « un seul désir
pour la chair du combat » et s’engage avec et contre
les grands idéaux pour sublimer la dimension sacrificielle.
Hymne reprend
La Louange comme première section et lui
en adjoint trois nouvelles de dimensions inégales. La
seconde, intime et proche parfois de la confidence, mêle le
sacré aux réalités les moins policées de la chair et tire de
formules blasphématoires une ferveur nouvelle (les audaces
les plus abruptes seront supprimées en 1965). La ligne de
crête est celle de l’« hymne » comme chant paradoxal
célébrant l’élévation mystique sur un mode proche de la
théologie négative. Les réticences dues à l’esprit du temps
et à l’endurcissement de l’âme laissent advenir une dévotion
humble et forte, capable en sa légèreté de danser sur
l’abîme. Le travail d’élagage opéré pour l’édition dite
« définitive » de 1965 fait perdre beaucoup des
nuances et des allusions qui donnent leur saveur à ces
versions primitives. |
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Béatrice Bonhomme Machteld Castelein Dorothée Catoen-Cooche |
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Dernière mise à jour : 2 mars 2024 Première mise en ligne : 2 mars 2024 |