Sources
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La vie de Pierre Jean
Jouve est assez mal connue, de par la volonté de
l’écrivain. Or Jouve, sous forme parfois claire, mais
souvent cachée, a mis beaucoup de lui-même, de son âme
et de sa vie dans son œuvre. Son « Journal sans date »
de 1954 s’appelle En miroir. C’est un autobiographie
très parcellaire où il ne décèle que des
aspects très fragmentaires de sa vie. Le peu qu’il dit cache
ce qu’il ne dit pas. Ses amis qui ont écrit des biographie
ont respecté ses vœux de silence, comme :
René
Micha |
Pierre Jean Jouve, Poètes d'aujourd'hui,
Pierre Seghers, 1956, première monographie sur l’écrivain, |
Robert Kopp et
Dominique de Roux |
Jouve, Cahier de L’Herne,
1972, ouvrage collectif très généreux. |
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Les choses ont commencé à changer quand
Daniel Leuwers |
dans Jouve avant Jouve ou la naissance d’un poète,
Klincksieck, 1984, a donné de nombreuses informations
inédites sur la première partie de sa vie. Cette
biographie s’arrête vers 1928 ; elle ne dévoile
sans doute pas tout. |
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L’édition des
deux gros volumes de
Jouve, Œuvre 1
et 2 en 1987 au
Mercure de France. |
Jean Starobinski,
éditeur
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a publié
de nombreux textes inconnus ou inédits et de nouvelles
informations. Mais ces informations
sont encore lacunaires ; la parution de :
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Béatrice Bonhomme |
Jouve ou la quête
intérieure de, Editions
Aden, à paraître, 2008 |
donne de nouvelles clefs sur la vie de Jouve et ses relations
étroites avec son oeuvre. On doit cependant admettre
que des
pans entiers de la vie de Jouve nous sont encore inaccessibles |
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Un bref parcours biographique
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Enfance
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Pierre
Jean Jouve est né à Arras le 11 Octobre 1887, dans une
famille bourgeoise. Jouve n’a pas aimé son enfance, ni sa
ville. Il n’en reconnaît que deux aspects positifs :
d’avoir été la ville de Robespierre (Jouve
admire les révolutionnaires) et d’avoir été
une "vieille ville espagnole". Ses origines de
plusieurs régions françaises avec une parcelle
d'influence étrangère (espagnole) expliquerait son
besoin d'ailleurs.
Pierre Jean Jouve passe ses premières années à
Arras ( René Micha, p 13) , il va au collège et
l'exècre. De ses années d'enfance il écrit: "Si
la poésie prend racine dans l'enfance , la mienne a pour ainsi
dire perdu ses racines . Là-bas tout est embrouillé et
confus, en partie oublié " (René Micha op
cit p 13) "Tout cela est comme enseveli et ne m'appartient
plus particulièrement. Je ne sens pas ma poésie
dépendre de mon enfance. Mais cela ne signifie pas que tous
les mouvements de l'inspiration aient échappé à
sa ténébreuse influence. Je ne puis me penser moi-même
que comme adulte, ce qui présente des difficultés bien
suffisantes." ( op cit p 14).
De
santé fragile, Jouve subira à 16 ans une grave
opération et connaîtra ensuite plusieurs années
de crise dépressive qui l'empêcheront de poursuivre des
études universitaires. Il passe alors des années entre
la musique et la méditation douloureuse.
Solitude
dans l'enfance et dans l'adolescence par rapport à une famille
figée dans ses rôles, un monde bourgeois sévère
et une société contraignante: "je revois une
enfance généralement triste, selon les coutumes de la
bourgeoisie probe et sévère" (EM II 1061).
Cela entraîne, de la part de Jouve, un phénomène
de repli, associé à une sorte de révolte
passive.
La
solitude le traquera toute sa vie, il n'appartient à aucune
école, le monde littéraire et les prix le boudent :
"Quant au mouvement contemporain , je m'en sentais séparé
par une glace des plus épaisses (EM II 1070)...On voit
assez ce qui (...) m'opposait aux productions surréalistes."
(EM II 1078).
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Jeunesse
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Adolescent,
Jouve découvre le désir pour une femme mariée,
la « capitaine Suzanne H. ». À 20 ans il
connaît ses premières expériences
sentimentales,:"Je m'attachais fugitivement à toutes
sortes de jeunes filles. Cependant j'avais déjà
connu un amour véritable pour la belle Capitaine H..." (
op cit p 15). En 1906 un ami qu'il nomme "le personnage
exerçant l'ascendant", Pierre Castiau ( op cit p 15)
lui découvre Rimbaud, Baudelaire et Mallarmé. Il fonde
à Lille avec Paul Castiaux et Théo Varlet une petite
revue symboliste : Les Bandeaux d'or. On y reconnaît
l'influence symboliste: Verhaeren, Maeterlinck, Jammes... En 1909 il
rencontre une très jolie jeune fille blonde, Lisbé,
qu'il retrouvera en 1933 et qui marquera son œuvre, ce sera l’une
des source du personnage d'Hélène. Il a sa première
liaison avec une femme plus âgée. Il épouse en
1910 Andrée Charpentier qui est agrégée
d'histoire. Le couple
s'installe à Poitiers jusqu'en 1915.
Durant
ces années, Jouve subit l'influence unanimiste (Jules Romains)
et des amis de « L’Abbaye de Créteil »
(les écrivains René Arcos, Georges Duhamel, Charles
Vildrac ; le peintre cubiste Albert Gleizes), il fait une oeuvre
humanitaire et raisonnable teintée de tolstoïsme le plus
souvent inauthentique.
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La guerre de 1914-1918
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Pendant
la guerre, Jouve entre comme infirmier volontaire à l'hôpital
militaire des contagieux de Poitiers mais, menacé de
tuberculose, il est envoyé en Suisse. C'est la période
de son amitié pour Romain Rolland (Prix Nobel en 1915), avec
l’écrivain Stefan Zweig et le graveur Frans Masereel avec
qui il publie des livres illustrés. Il écrit des
oeuvres généreuses et pacifistes mais elles l'éloignent
de plus en plus cruellement de "son domaine".
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La Crise fondatrice
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En
1921 le poète rencontre la psychanalyste Blanche Reverchon:
"celle qui l'appelle et le nomme". Elle lui découvre
les abîmes de l'inconscient humain. Son oeuvre en sera
définitivement marquée. À cet ébranlement
intellectuel s'ajoutent des déchirements sentimentaux puisque
Jouve divorce pour épouser Blanche.
De
1922 à 1925 il traverse une profonde crise intellectuelle qui
l'amène à renier, à quarante ans, la totalité
de son oeuvre.
Cette
rupture est d'abord d'origine mystique, Jouve ayant la révélation
que la grande poésie est d'essence spirituelle et
chrétienne : " trouver dans l'acte poétique une
perspective religieuse-seule réponse au néant du
temps". (En Miroir, Mercure de France 1954 p 29). Ces
années sont consacrées à la lecture de textes
sacrés: saint-François d'Assise, Thérèse
d'Avila, Catherine de Sienne.
C’est
aussi la période où il fait la connaissance de Rainer
maria Rilke et de sa compagne, Baladine Klossowska, et des deux fils
de celle-ci : Pierre Klossowski avec qui il traduit Hölderlin
en 1930, et le jeune Balthus sur qui il écrira beaucoup. Il
rencontre aussi le peintre tchèque Joseph Sima qui illustre
plusieurs de ses livres (Paradis Perdu, 2ème
édition de 1938). Blanche Reverchon devient membre de la
société psychanalytique de Paris (SPP) en 1928 et elle
sera une proche de Jacques Lacan.
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La Rupture
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En
1928 Jouve rejette en bloc toute l’œuvre publiée avant
1925, dans une postface à une première édition
du recueil Noces :
"La conversion porte pour moi la date de 1924. Si, comme je
le crois, la plus grande poésie et la véritable est
celle que le rayon de la Révélation est venu toucher,
on me laissera le droit , au moment où je livre au public le
poème de Noces, de dire que l'esprit comme la
source des livres que j'avais écrits antérieurement me
paraissent à présent « manqués »."
(EM II 1072).
Jouve
cultive la solitude parce qu'il pratique l'art de rompre ("De
L'Exil" EM II 1163) :"L'exil dont je veux parler maintenant
est l'état d'exil intérieur et de proscription pour
cause de nature, de tempérament, forme de pensée ou
manière de vivre (E M II 1163). Ma nature est sauvage
et presque toujours insatisfaite. Mieux valait l'exil (...) que la
compromission.(...) mon père rompit avec son père de
façon retentissante (... . J'ai moi-même rompu ,à
demi avec mon père. Mon fils a rompu avec moi. Cette suite de
ruptures (...) marque tragiquement une lignée" (EM
II 1164). Pierre Jean Jouve a rompu également avec sa première
femme, avec ses amis Arcos, Duhamel et Vildrac (au moment même
où ceux-ci participent à la création de la revue
Europe), avec Romain Rolland: "La tendance de rupture
n'est pas la haine (...) il s'agissait finalement de mon propre
développement et de ma liberté" (EM II
1165).
Cette rupture existe dans l’œuvre également, puisqu'en 1924
Jouve rejette son oeuvre antérieure:" la crise
de1922-1925 devait m'amener à faire cet acte de volonté
que peu de personnes voulurent comprendre: rejeter, en bloc, tout ce
que j'avais écrit et publié jusqu'alors." (EM
II 1072).L'artiste qui a fait son oeuvre a, d'après lui, le
droit de la retirer du domaine intellectuel par acte de volonté.
La conversion date de 1924.
De
plus, on peut encore voir une rupture dans le fait qu'après
1935 il n'écrira plus jamais de romans, ce qui confère
une grande cohérence à l'ensemble de son oeuvre
romanesque: "Je n'ai plus écrit de roman après
La Scène Capitale .Toute recherche de sujet s'est
terminée par un refus intérieur (EM II 1102).
Il est probable que l'explication vraie est à rechercher dans
la substance même de la dernière oeuvre, par la
culpabilité qui l'avait engendrée ,dont elle s'est
nourrie, et qu'elle a laissée derrière elle." (EM
II 1103)
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Les Années prodigieuses
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De
1925 à 1935 Jouve écrit toute son oeuvre romanesque :
Paulina 1880 (1925), Le Monde désert (1926),
Aventures de Catherine Crachat (Hécate, 1928 et
Vagadu, 1931), Histoires sanglantes (1932), La scène
Capitale (Dans les années profondes et La
Victime, 1935). Après 1935, il n'écrira plus de
romans.
Pendant
la même période il atteint des sommets avec ses recueils
poétiques : Noces (1925-1931), Sueur de Sang
(1933-1935) et Matière céleste (1936-1937).
La
solitude est le monde de l'absence, le désir est un monde
d'absence-présence. Le désir est marqué par un
sentiment de manque, d'incomplétude mais aussi par une force
d'écriture. Plus importante encore que l'objet du désir,
la phrase du désir prend ici toute sa valeur créative.
Dans l’œuvre de Jouve le désir s'appelle Éros, mélange
des forces de l'érotique et de l'interdiction
judéo-chrétienne. Jouve utilise l'Éros comme matière
d’œuvre d'art.
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La Guerre de 1939-1945
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Dès
avant-guerre Jouve a senti la montée du nazisme, la
« catastrophe » : il publie des poèmes
où se mêleront résistance à l’occupation
allemande et expérience spirituelle : Kyrie
(1938), La Vierge de Paris (1942-1946). Il passe la guerre en
exil en Suisse où il publie aussi des essais sur l’art et la
littérature (Le Tombeau de Baudelaire, 1941 ;
Défense et Illustration, 1942) et sur la musique (Le
Don Juan de Mozart, 1942). |
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Après la guerre
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Revenu
à Paris, Jouve poursuit son approfondissement spirituel et
poétique avec Diadème (1949), Ode (1950),
Mélodrame (1957), Proses (1960), Moires
(1962). Il publie aussi un important essai sur le Wozzeck d’Alban
Berg (avec Michel Fano, 1953). Avec En miroir - Journal sans date
(1954) Jouve écrit une sorte d'autobiographie spirituelle et
intellectuelle où Jouve ne nous présente qu’une part
de sa vie et de son œuvre, laissant beaucoup dans l’ombre. |
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Les bilans
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A
partir de 1958, Jouve réédite ses œuvres, souvent en
les retouchant. En 1958 : son essai Le Tombeau de Baudelaire.
De 1959 à 1962, il réédite ses romans. De 1964 à
1967, ses poèmes. Blanche Reverchon meurt en 1974, et Jouve en
1976, deux ans après, jour pour jour. |
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Références
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( I ) Œuvre I, Mercure de France, édition de Jean Starobinski, 1987
( I I) Œuvre II, Mercure de France, édition de Jean Starobinski, 1987
(EM II) En Miroir, Journal sans date, 1954, réédition dans Œuvre II
René Micha, Pierre Jean Jouve, Pierre Seghers éditeur, 1956
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