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Béatrice Bonhomme Bernard Vargaftig ou le tremblement d'être |
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Comment définir une œuvre qui repose sur une sorte de paradoxe que l'on pourrait énoncer ainsi : comment nommer ce qui n'a pas de nom, comment parler ce qui est sans parole, faire advenir ce qui ne se donne que comme éclat, surgissement aveuglant du réel, vivacité, nudité qui est le signe d'un éveil, d'une naissance. Comme si nommer était éblouissement, désir, lumière qui siffle, étoile filante au ciel de tête et qu’à la poésie on accédait par éclats, précipices, déchirures dans le tissu des certitudes, explosions qui vibrent. Les poèmes par leur rythme semblent haleter et refléter le désordre du monde, mise en vitesse, à-pic, dénudation, chute, oscillation, fragmentation. L’émotion reste ouverte, peu de mots, cent fois dits, des mots qui tiennent au bord du vide, frappés par la vitesse, comme quelque chose qui propulse ou aspire. Parole nue qui accueille, dans sa trame, l’apocalypse, exigence parfaite au bord même du tremblement et du vertige, un langage que dans la détonation, le principe inattendu fait crier. Nous voici emportés dans le texte comme nous sommes emportés au monde qui se fait espace et soulèvement.
Avec une rigueur et une intensité qui ne se sont pas démenties, livre après livre, la poésie de Bernard Vargaftig n’a cessé de poursuivre ce point d'incandescence où dire devient être : "et lire le vers devient être". L'anfractuosité est acceptée qui protège cette poésie de toute complaisance, travail profond d'une mémoire déchirée : "Comme dans l'enfance, courir et appeler, crier, crier, et courir droit devant soi et crier se sont transformés, dans le vers et par le vers, en autre chose, en gouffre, en être, en ce qui est innommable". Des éléments en mouvement rythment la respiration d'un paysage intérieur. Les poèmes s'interdisent toute éclosion d'images pour rester au plus près de la déflagration : Je fuis l'image et je la poursuis. L'image me fascine, m'aveugle, terreur et fascination ". La répétition, qui n'est jamais ressemblance, participe à cette architecture vertigineuse : "Tous mes livres se font dans cette idée d'architecture, répètent autrement, se recommencent, créent une répétition vivante, qui renouvelle". Des mots qui se tiennent au bord du vide. Frappés par la vitesse. Chaque poème glisse en avalanche vers le suivant. Tout penche, l'échelle, le monde, les mots, le poète et son lecteur. La matière du poème est prise dans un tremblement d’être. Et le poète, habité par le souffle, a écrit chacun des textes en même temps que le livre, travail d'architecture, travail de partition, de respiration qui ressemble à ce qui se passe dans la musique : "considérer le livre comme une partition musicale, c'est-à-dire que chacun des signes, les mots, la disposition, le blanc, le trait noir, la pagination, était son, était sens" Alors ce n'est même pas l'effacement qui surgit mais la trace de l'effacement, le texte ne livrant que sa dispersion, cette stupeur d’être. Immensité du gouffre, désastre, dévastation, tremblement voilà ce qu’a créé ce poète qui déclarait : "Le commencement est toujours devant moi". |
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© 2012, Béatrice Bonhomme - Tous droits réservés pour les textes ainsi que pour les tableaux de Mario Villani | ||
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Retour à la page d'accueil du Site | Dernière mise à jour : 13 février 2012 |