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Pierre Jean Jouve et  Gaston Thiesson en Suisse 


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(novembre 1915 — janvier 1916)

Par Roland Roudil

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Galerie de dessins de Gaston Thiesson
(novembre 1915 - janvier 1916)

Carte de la Suisse.
Carte de la Suisse


Pierre Jean Jouve et Gaston Thiesson en Suisse

(novembre 1915 – janvier 1916)


Au début du mois de novembre 1915, Gaston Thiesson et Pierre Jean Jouve se retrouvent à la Tour de Peilz, près de Vevey, sur les bords du Lac Léman. Gaston et sa femme Renée sont arrivés en Suisse le 11 octobre pour rencontrer Romain Rolland. Pierre et sa femme Andrée, accompagnées de Mme Charpentier, arrivent directement de France avec leur fils Olivier. Aussitôt Romain Rolland quitte Genève et leur rend une visite-éclair1.

Comme il l’écrit dans son Romain Rolland vivant, Jouve est très impressionné par cette première rencontre avec l’auteur de Jean-Christophe:

Je suis encore dans cette étroite chambre de pension, où il avait voulu venir me voir ; le bon peintre Thiesson à côté de moi, les miens tout autour ; et lui seul dans un angle, son visage sévère et très doux, ses yeux qui touchent jusqu’à la conscience. Je ne sais plus rien de ce que nous avons dit ce jour-là ; mais j’ai conservé le rayonnement2.

Les Thiesson et les Jouve quittent la Tour de Peilz et s’installent à Montana le 7 novembre. Les amis restent en contact. Thiesson écrit à Rolland :

Montana. Bon voyage. Avons trouvé à nous installer. Je pars demain matin en excursion à Louèche les Bains, ensuite à Zermatt. Jouve est enchanté.

Au recto de la carte, Pierre Jean a ajouté :

Cher grand ami, une pensée affectueuse – des montagnes. Assez étourdis, étonnés un peu, nous voilà devant la neige. Nous avons trouvé une petite boîte étonnante norvégienne. Vous y viendrez. La liberté des montagnes nous entoure. Votre ami PJJ3.

De son côté, Rolland écrit à Jean-Richard Bloch, qui leur a permis tous les trois de se retrouver :

Nous avons souvent parlé de vous, Thiesson, Jouve et moi et (...) nous vous aimons bien4.

Les croquis reproduits ici sont extraits de lettres que le peintre envoie à Rolland lors de ce séjour à Montana, de novembre 1915 à mi-janvier 1916. Ils rendent assez bien compte des activités du peintre et du poète à cette époque.

Comme Thiesson veut faire venir Rolland à Montana, il l’informe rapidement qu’il a trouvé pour lui un hôtel confortable entre sa maison et celle de Jouve, l’Hôtel du grand Chalet. Pierre Jean a pris possession du Chalet la Fenière. Entre son chalet et celui de Thiesson : le chalet du Dr Stefani, où sera hébergé Gallimard qui, de la fin 1915 jusqu’en janvier 1916, fait un séjour au sanatorium du docteur pour soigner ses intestins5.

Les sorties à ski sont sources de joie pour les deux hommes (Croquis 1 et 2) :

Je l’aperçus avec ses skis sous ses bras, écrit Thiesson à propos de Jouve. Quand il me vit dans mon accoutrement, il éclata de rire. J’avais absolument l’air de faire partie d’une expédition Scott ! Nous remontâmes ensemble. Et quand nous eûmes atteint le sommet de la colline, je me débarrassai de mon bagage et nous fîmes du ski. Jouve qui n’avait pas encore essayé de ce sport, fit de merveilleuses glissades sur le derrière6.

Mais les deux hommes sont fatigués par le changement d’air et l’altitude ; leurs nuits sont agitées. Le mauvais temps leur fait renoncer aux excursions prévues. La santé de Jouve ne laisse pas d’inquiéter le peintre :

Jouve est en train de vous écrire. J’essaye de le remonter, car ce pauvre ami me dit que son âme ne va pas7.

Thiesson lui propose des excursions :

Ce matin je me suis promené avec Jouve qui s’est très bien trouvé de cette promenade dans la neige. Il y en avait ce matin quinze centimètres. Le paysage est féerique, mais adieu le Mont Lachaux8.

Promenades dans les vallées (Croquis 4 et 5), à Louèches-les-Bains (Croquis 6 et 7), soirées près de la cheminée, arrosées de Chianti, lecture d’articles de presse (Croquis 8), telles sont les activités que Gaston Thiesson retrace dans ses lettres sous forme de croquis. Le destinataire s’en montre enchanté :

J’ai reçu votre lettre avec le croquis, dont j’ai bien ri. Je suppose que c’est Jouve qui lève les pieds au ciel, et que c’est vous qui descendez fièrement, les pieds en bas, avec deux harpons à la main, ou deux foudres de Jupiter. Si vous voulez entremêler vos propos de croquis, langage parlant et langage parlé, j’en serai ravi9.

Thiesson se rend souvent chez les Gallimard (Croquis 9). Parfois les Thiesson invitent chez eux les Jouve qu’ils voient journellement, descendent à Sierre, y déjeunent au Grand Hôtel, où les attend un « déjeuner offert par l’ami Gallimard et arrosé de Chianti et de Malvoisie10. » Mais la neige continue de tomber et empêche dorénavant les promenades.

D’autres événements viennent rythmer le séjour des Jouve et des Thiesson à Montana, comme l’annonce du prix Nobel pour lequel ils félicitent leur ami Romain Rolland. Mais c’est surtout le rapport de son activité de peintre qui forme le contenu de la plupart des lettres que Thiesson adresse « au proscrit de Genève. » Ne pouvant travailler à l’extérieur du fait du mauvais temps, Thiesson entreprend les portraits du couple Gallimard et du couple Jouve (Croquis 10, 11 et 12). L’après-midi, c’est à sa femme Renée de poser. Thiesson exprime ainsi les difficultés qu’il a à faire le portrait de Jouve :

...après la séance Jouve, je me suis senti fatigué. Il pose peu de temps et assez mal. Comme je le laisse parler il faut que je l’écoute en même temps que je peins. Si je lui impose le silence, il ferme les yeux ou se plaint11!

Le soir, Jouve leur lit Pascal. Le couple Thiesson se rend souvent chez les Jouve qui les invitent à dîner.

Avec Jouve nous nous voyons souvent, plusieurs fois par jour. Ce soir nous dînons chez eux. Ce sont de braves gens que j’aime bien. La mère de Mme Jouve est une admirable femme12.

Les portraits de Thiesson avancent bien, mais il regrette de ne pouvoir peindre la montagne. Dans ses lettres, il fait le point sur sa technique picturale. Ses toiles s’éclairent, prennent vie. Tout lui paraît neuf : le monde, les couleurs et les sentiments. Sa technique évolue favorablement, pense-t-il. Il observe ce qui le différencie de son ami Jouve, qui se montre plus désabusé que lui.

Mais le séjour des Thiesson à Montana se termine. De retour à Genève, ils louent, au début du mois de janvier 1916, un appartement dans le quartier des Eaux Vives, dans une maison « moderne », écrit Rolland, mais bon marché avec chauffage central et chambre de bain13. Il se lie d’amitié avec le peintre Edmond Bille, et comme il a l’intention de travailler, il a retenu un modèle. Il  rencontre aussi le peintre Hodler dans son atelier. Le 10 février, Thiesson quitte Genève et se rend à Zurich pour exposer et vendre quelques tableaux. « Il a fait en Suisse quelques bons dessins et portraits, dont celui de Jouve », écrit Rolland à son ami Bloch14.

De son côté, Jouve se rapproche de Rolland, qu’il rencontre à Genève à la fin du mois de mars. Depuis le mois de février, Pierre Jean travaille à Montana comme infirmier dans un hôtel converti en sanatorium où l’on soigne des  tuberculeux et des militaires français, expérience qu’il rapportera dans Hôtel-Dieu15. Les Thiesson poursuivent leur visite de la Suisse : Ascona, Berne, Lugano et s’apprêtent à rentrer en France. Jouve, toujours installé à Montana, emménage au Chalet de la Forêt16.

Du 9 au 12 juin Rolland se trouve chez les Jouve à Montana17. A la fin de son séjour, il se fait accompagner à pied jusqu’à Sierre par son nouvel ami et le peintre Edmond Bille.

J’ai passé trois jours à Montana, chez les Jouve, si affectueux, écrit-il à Thiesson. Ils m’ont montré votre petite maison. Mon pauvre vieux, quel dommage que vous ayez vu la montagne, par les pires mois de l’année ! [...] Il faisait froid, à Montana, et j’ai beaucoup plus apprécié les environs de Sierre, la forêt de Finges, et la Palestine qui entoure Louèche. J’y avais pour guide, l’excellent Bille, que vous connaissez, je crois, et qui apprécie beaucoup les œuvres qu’il a vues de vous18.

C’est le début d’une relation très étroite entre Romain Rolland et Pierre Jean Jouve, c’est-à-dire aussi d’une période marquée par le rapprochement des deux hommes du milieu pacifiste genevois.


1 Romain Rolland, Journal des Années de Guerre, Albin Michel, 1952. p. 570.

2 Romain Rolland vivant, Ollendorff, 1920, p. 27.

3 Lettre du 7 novembre 1915.

4 Lettre du 11 novembre 1915. Deux hommes se rencontrent. Correspondance entre Jean-Richard Bloch et Romain Rolland (1910-1918), Albin Michel, 1964, p. 325.

5 Pierre Assouline, Gaston Gallimard, Un demi-siècle d’édition française, Gallimard 2006, p. 103-119.

6 Lettre du 15 novembre 1915.

7 Lettre du 8 novembre 1915.

8 Lettre du 11 novembre 1915.

9 Lettre 24 novembre 1915.

10 Lettre 13 décembre 1915.

11 Lettre du 24 novembre 1915. 

12 Lettre du 22 novembre 1915.

13 Lettre de Romain Rolland à sa mère, 13 janvier 1916. Je commence à devenir dangereux. Choix de lettres de Romain Rolland à sa mère (1914-1916), Introduction d’Else Hartoch, Albin Michel, 1971, p. 212.

14 Lettre du 8 février 1916, Deux hommes se rencontrent, op. cit.,  p. 337.

15 Daniel Leuwers, Jouve avant Jouve ou la naissance d’un poète (1906-1928), Klincksieck, 1984. p. 116.

16 Id..

17 Journal des Années de Guerre, op. cit. , p. 827.

18 Lettre du 10 juillet 1916.


Portraits de Proches de Pierre Jean Jouve par Gaston Thiesson

Portraits de Proches de Pierre Jean Jouve par Gaston Thiesson
Portrait d'Andrée Jouve par Gaston Thiesson
14 - Portrait d’Andrée Jouve
par Gaston Thiesson.
15 - Portrait de Charles Vildrac
par Gaston Thiesson
Portrait de Charles Vildrac par Gaston Thiesson


Sources
  • Romain Rolland, Journal des Années de Guerre, Albin Michel, 1952.

  • Pierre Jean Jouve, Romain Rolland vivant, 1914-1919 , avec portrait d’après Frans Masereel, Librairie Ollendorff, 1920.

  • Deux hommes se rencontrent. Correspondance entre Jean-Richard Bloch et Romain Rolland (1910-1918), Albin Michel, 1964.

  • Je commence à devenir dangereux. Choix de lettres de Romain Rolland à sa mère (1914-1916), Introduction d’Else Hartoch, Albin Michel, 1971.

  • Roland Roudil, Correspondance Romain Rolland - Gaston Thiesson (1915-1919), Faculté des lettres de Montpellier, 2011, sous la direction de Jean-François Durand, thèse dactylographiée, 674 p. et Annexe, 226 p.



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Sous la responsabilité de Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
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Première mise en ligne : 24 avril 2012