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Pierre
Jean Jouve Ouvrages critiques |
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des Ouvrages critiques sur Pierre Jean Jouve Décembre 2008 |
François Lallier
La Voix antérieure II Jouve, Jourdan, Michaux, Frénaud, Munier Collection « Essais » La lettre Volée - 2010 |
Sur La Voix Antérieure de François Lallier (échanges avec J.-P. L.-L.) |
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François Lallier
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Vocalité et Poésie |
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François Lallier La voix antérieure [I] La Lettre volée, 2007 |
Ce concept, la « voix antérieure » comporte deux notions, qu’il faut examiner séparément avant de chercher à comprendre leur combinaison : la notion de « voix », et celle d’antériorité. D'autre part il se rattache par une sorte de jeu de mots, à un des poèmes les plus difficiles, et les moins documentés, des Fleurs du mal, « La Vie antérieure », difficile dès lors qu’on se préoccupe d’une lecture littérale, sans tenir compte de données extérieures, qui précisément, et par bonheur, manquent pour ce poème. Il
semble naturel de penser que le langage comporte une part d’oralité,
laquelle confondrait, dans une certaine tradition de la poésie
lyrique, la subjectivité et le chant. La vocalité serait le propre
de la poésie comme expression d’un sujet – le sujet lyrique –
à travers ce qui met en jeu le plus intime de la personne, la voix,
et dans la forme qui recourt aux plus vastes possibilités de la
voix, le chant : à partir de quoi se trouve justifié le
recours aux données biographiques, qui découle de la subjectivité.
Ce que pose admirablement le poème de Baudelaire, dans son titre
même, mais qu’il annule aussitôt, par un acte fondateur de la
poésie « moderne » au même titre que le « sonnet
en -yx » de Mallarmé, ou encore la « Lettre du
voyant » de Rimbaud. Dans « La Vie antérieure »,
le sujet en effet est à la fois posé comme « antérieur »
(au présent du texte), et enclos dans ce présent qui forme une
limite infranchissable. Cette contradiction, particulièrement
féconde, n’apparaît qu’après une analyse qui est le point de
départ du premier livre, et s’étend à d’autres aspects,
parfois méconnus, de l’œuvre de Baudelaire. |
L'écriture |
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F. L. : Elle rencontre la
question de l’opposition entre la « lettre et la voix »,
pour reprendre le titre d’un livre de Paul Zumthor. Le passage
d’une littérature orale à une littérature écrite a suscité de
nombreuses études, qui conduisent à identifier des procédés de
composition propres à un art déterminé par le problème de la
mémoire, et à mettre l’accent sur l’importance du matériau
phonique. Mais très vite aussi on peut constater que ces formes de
l’oralité constituent en elles-mêmes une écriture,
indépendamment de leur réalisation phonique, et du fait même de
leur transmission, qui comporte une certaine impersonnalité.
Corrélativement on constate sans difficulté que les œuvres de la
littérature écrite présentent parmi d’autres singularités celle
de paraître enfermer véritablement une voix, éminemment
reconnaissable, et que lecteur attentif peut identifier à coup sûr.
Une voix, plutôt qu’un style, ce dernier terme ne faisant que
transposer dans le vocabulaire de l’écrit les particularité
phoniques d’une énonciation qui est présente au même titre dans
la « littérature », qu’elle soit écrite ou parlée.
Il faut mentionner également la réflexion de Jacques Derrida, et d’abord la démonstration initiale conduite dans La voix et le phénomène. On sait que pour Derrida l’écriture est première, et la voix seconde. L’usage de la langue, sa mise à disposition pour et par un sujet, suppose une trace, une archi-écriture, que vient recouvrir la voix subjective, en tant que fondatrice du sujet et de son savoir de soi ou du monde ; archi-écriture manifestée sous la forme du « supplément », d’où procède la « différance », à la fois trait structural de la production de sens et mouvement de dérive infinie propre à l’inscription du sujet dans le langage. La voix, en effet, n’est présente que dans le texte qui la produit, et reste ainsi inaccessible comme origine, de même que reste inaccessible, et d’une certaine manière, n’a pas lieu, l’expérience subjective antérieure à l’écriture dont elle serait la source et le témoignage. Il me semble que la poésie, où ces questions trouvent évidemment leur place (en témoignent les nombreuses pages consacrées par Derrida à Mallarmé), leur apporte un éclairage particulier, dans la mesure où elle en fait l’objet même d’une expérience qui dès lors est d’autant moins à mettre en doute que par elle la notion de sujet ou de subjectivité se trouve également traversée, revécue, sinon déconstruite. La « voix antérieure », en sa présence inatteignable, désigne l’objet qui apparaît dans cette traversée et que j’ai tenté de reconnaître, second moment de la poésie moderne, et second livre, dans les œuvres de Pierre Jean Jouve (mais aussi de Pierre-Albert Jourdan, André Frénaud, Henri Michaux et Roger Munier). |
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Dieu, l'Inconscient et la poésie |
J.-P. L.-L. : Logiquement, la poésie née du symbolisme de Baudelaire et de Mallarmé nous conduit à Pierre Jean Jouve qui a renouvelé notre lecture de ces poètes. Mais Jouve avait bénéficié d'une initiation de première main à la psychanalyse. Nous estimons qu'à partir de 1922 son épouse Blanche Reverchon, traductrice de Freud en 1923, membre de la Société psychanalytique de Paris en 1928, co-fondatrice de la Société française de Psychanalyse en 1953 (aux côtés de Lacan), lui a expliqué ses visions, ses rêves, ses rêveries, ce que Jouve appelait son « tuf » . Certainement, Blanche Reverchon a employé le langage et les concepts des freudiens de la première génération des psychanalystes français, mais en 1933 Jouve savait parfaitement ce qu'était la « pulsion de mort ». Dès votre introduction, vous montrez que la connaissance que Jouve avait de sa propre psyché le conduit à s'affronter à deux limites qui sont la marque de son écriture poétique, l'Inconscient et Dieu, limites qui introduisent une souffrance et engendrent une pensée. Je vous cite : |
La poésie naît lors de la rencontre de deux limites La Voix antérieure II, page 11 |
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Ce que Jouve appelle sa
vita nuova, c’est-à-dire la seconde naissance de son œuvre,
est lié à l’union de corps et d’esprit avec une femme, Blanche
Reverchon, engagée dans la recherche psychanalytique – elle même
encore neuve. Ainsi on doit considérer qu’à partir de 1924 la
psychanalyse fait partie intégrante de l’œuvre de Jouve, comme de
sa vie, dans le même renouvellement. Sous quelle forme ? Quant
à l’œuvre, Il suffit de la lire, pour se convaincre de
l’importance du fait psychanalytique, croissante depuis Les Noces
jusqu’à Sueur de sang, et qui ne sera jamais remise en
cause. Mais on peut aussi penser, comme vous, que le travail commun
de Pierre et de Blanche, et la vie commune, ont mis en mouvement les
mécanismes d’une véritable analyse, aussi peu orthodoxe
soit-elle. |
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le religieux et l'inconscient La Voix antérieure II, page 27 |
«
Aborder le religieux d'une façon qui ne soit pas la distance, même
respectueuse, de l'anthropologue, voire de l'esthète, et approcher
l'inconscient — comme
source des images, mais aussi comme composant de la personne — sans que
ses mouvements, explicités par la psychanalyse, ne se voient imposer son
métalangage, annulant l'effectivité de l'éros : voilà ce que l'oeuvre
de Jouve donne pour possible, et réalise, comme on peut s'en convaincre
en ouvrant presque n'importe lequel de ses grands livres de poésie. »
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«
... deux faits essentiels mais d'interprétation ambiguë. »
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La Voix antérieure II, page 27 |
«
L'un est évidemment l'union de l'éros et de la mort, non en elle-même,
l'oeuvre de Bataille et avant lui celle de Sade montrent à quel degré
de vraie séduction et d'emprise elle peut atteindre, mais en ce qu'elle
met en scène la différence des positions féminine et masculine.
L'autre est la conception ontologique du dieu qui suscite sa religion,
tous deux, l'union de l'éros et de la mort, et la foi dans la présence
divine, se trouvant réunis dans le travail du langage qui est l'acte
fondamental de la poésie. »
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L’inconscient et le divin se présentent alors comme les deux limites de l’écriture, en même temps que ses deux sources, et les deux déterminations, du moins chez Jouve, de l'antériorité de la « voix antérieure », qui nous occupe . Et la poésie se fait de laisser entendre à travers cette écriture (les autres sources, nombreuses, étant l’écho d’autres poètes ou artistes reconnus comme témoins de la même expérience) la voix qui parle comme en creux, et hors de toute trace, à partir de ces deux limites, qui définissent l’espace de la poésie. Son espace, ou pour mieux dire son mouvement, qui, dans la matière phonique, pourra à bon droit être revendiqué par Jouve comme « chant », assez loin toutefois, on le voit bien, du lyrisme entendu comme expression immédiate d’une subjectivité. Car dans la double limite où s’élève ce chant, seul lieu du travail d’une conscience vivante pour accéder à soi comme à la vérité de la limite, la personne est éprouvée aussi comme masque, à travers les symboles en acte dans la matière la plus intime du langage. |
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de Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert |
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Ce texte : © François Lallier et Jean-Paul Louis-Lambert Les couvertures des livres : © Éditions La Lettre volée Première mise en ligne : 3 juillet 2010 Dernière mise à jour : 14 juillet 2010 |