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Les Entretiens de la Revue NU(e)

Salah Stétié

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1996                         L'Entretien avec Béatrice

2005                         Traversant avec Pierre Jean Jouve, à paraître
 
Cet entretien ne doit être cité qu'avec la Mention obligatoire :
Entretien recueilli par Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio pour la revue Nue N° 3 (1996)

1996

L'Entretien avec Béatrice




   Béatrice BONHOMME a posé dix questions à Salah Stétié sur son oeuvre. Il lui a répondu aussi précisément que possible. C'est cet entretien, au titre choisi par le poète, que le numéro 3 de NU(e) (1996) publie ci-après.

 
Béatrice Bonhomme    Vous avez rencontré Pierre Jean Jouve. Quel souvenir gardez-vous de lui ? Quel est le thème qui vous frappe le plus dans son oeuvre ? Existe-t-il un lien entre sa poésie et la vôtre ?


Salah Stétié J'ai fait mieux que rencontrer Pierre Jean Jouve: je l'ai accompagné de ma présence, plus ou moins effective, sur près de trente ans. C'est vers les années cinquante - j'étais alors étudiant en Sorbonne - que l'un de mes amis poètes Yves de Bayser, qui était l'un des familiers de Jouve, m'a emmené chez lui. Je connaissais l'oeuvre de Jouve et j'étais un passionné de cette grande musique qu'on trouve dans ses principaux recueils : Matière Céleste, Noces, Sueur de sang, etc. Je me récitais aussi comme un texte de poésie pure les premières pages de Paulina 1880, à savoir la description de la "chambre bleue"... Il faut dire que j'avais été introduit à l'oeuvre de cet immense poète par le meilleur initiateur qui soit, qui était un très subtil critique, mon maître, et l'ami de Jouve : je veux parler de Gabriel Bounoure, l'un de ces esprits extraordinairement déliés, l'une de ces sensibilités à vif, faites de limpidité et de réserve obscure, à qui beaucoup doivent leur approche fascinée du poème. Bounoure, dont je viens de préfacer des textes liés à l'Orient et qui ont paru récemment aux éditions Fata Morgana sous le titre Fraîcheur de l'Islam. Bounoure a vécu plus d'un quart de siècle dans mon pays, le Liban, et j'avais eu le privilège, avant de devenir son ami proche, d'être son élève à la célèbre Ecole de Lettres de Beyrouth dont il était le fondateur et le directeur.

   Jouve était impressionnant d'acuité et de pureté. On sentait avec force son appartenance au monde spirituel, sa participation intérieure à tout ce qui donne à la parole son poids de vérité et, aussi, sa puissante légèreté lyrique. Il y avait tout un rituel de l'approche de l'homme Jouve - et de son épouse, psychanalyste, qui fut l'élève directe de Freud, Blanche Reverchon -, un rituel où le cérémonial le disputait à la qualité d'écoute et, paradoxalement, à la simplicité. On écoutait, fasciné, le poète parler de... lui-même et de ses difficultés dans l'élaboration de l'oeuvre : oui, je crois pouvoir le dire maintenant, ce que Jouve demandait le plus à son interlocuteur, c'était de savoir écouter, de savoir l'écouter.

   L'oeuvre de Jouve est grande : elle est grande par son intensité lyrique, par l'extrême raffinement de sa langue, par la force de son interpellation spirituelle - force ouverte et qui ne conclut pas.

   Y a-t-il un lien entre ma poésie et la sienne ? Probablement et à partir des déterminations de l'oeuvre jouvienne que je viens d'énoncer. Mais, dans mon travail de poésie, il y a une dimension qu'on ne saurait trouver dans le texte du poète de Noces, et pour cause : la dimension arabo-islamique, l'espèce d'énoncé en forme de profération prophétique que je dois, sans doute, à mon enracinement sémitique.

   Quant au thème majeur, selon moi, de l'oeuvre de Jouve, c'est, dans la sorte de transvasement incessant chez lui du désir et de la  faute - ce qu'il appelle la Faute et qui est, en marge mais non coupé du péché originel, le sentiment d'une catastrophe suspendue en qui s'impliqueraient, ontologiquement parlant, l'homme, l'univers et sans doute même la Divinité - dans cette sorte, dis-je, de transvasement la possibilité qu'a l'homme, par sa parole, d'accéder à une sorte de pureté, de vérité, de nudité essentielle qui le refonde, à travers la parole de poésie, dans l'Etre, ici et maintenant certes, mais aussi, dubitativement (le point d'interrogation ne sera pas levé) dans un ailleurs admirablement archaïque qui fut peut-être et qui sera, le moment venu, un toujours.
Haut de la Page    J'aime par dessus tout dans la densité physique et comme minérale de l’Oeuvre jouvien ce tremblement des hauteurs qui allège l'ensemble et le tire à lui, cet "ozone majeur" comme le dit le poète, cette "matière" qui sait devenir "céleste". Pour en revenir à moi, la matière de mon poème pour devenir à son tour aérienne, azuréenne, doit subir une combustion, un passage par l'aridité, qui me rapproche de la mystique soufie.
Béatrice Bonhomme    Lecture d'une femme* est un texte un peu énigmatique. Y a-t-il un souvenir de l'Hélène jouvienne dans Héléna ?
Salah Stétié    Enigmatique, oui et qui m'est venu, fragment par fragment, comme on se débarrasse d'un secret trop lourd en le confessant. Ce secret ? La brûlure inexplicable du désir et l'improbabilité de son assouvissement. Pourquoi cette chair, ce corps putrescibles s'exposent-ils ainsi au feu dont ils savent d'intuition qu'il les dévorera ? Le livre est comme un triangle isocèle - Héléna, le mort qui fut l'aimé, le témoin qui fut peut-être l'aimé lui aussi mais peut-être n'existe-t-il pas - dont les angles s'effaceraient au fur et à mesure qu'ils se verraient tracés : par qui ? pourquoi ? et qui, dans le récit, dit vraiment "je" ? Le désir est sans doute cette force qui mène chacun à la destruction mais pour qu'il y ait destruction il importe qu'il y ait eu élaboration d'abord et c'est le désir, et lui seul, qui élabore, qui construit et qui illumine les objets vains de sa quête, vains mais qui n'auraient pas réussi à s'inscrire dans l'être, l'espace d'un instant (ne fût-ce que l'espace d'un instant) s'ils n'avaient été aussi fortement convoités et, comme par un éclair, illuminés par le désir. Je renverse, dans ce récit, sans l'avoir cherché consciemment - c'est maintenant que je m'en rends compte - la célèbre proposition de René Char : "Le poème est l'amour réalisé du désir demeuré désir", pour la remplacer, au fil de l'écriture, par une proposition de sens inverse, et le même : "Le désir est le poème réalisé de l'irréalité désirante", tentant par là d'inscrire le désir dans l'Histoire, dans une histoire. Le désir met en jeu, et en lumière, me semble-t-il, la dialectique fondamentale de l'Etre et du Néant, de l'Etre par et contre le Néant : le nez de Cléopâtre introduit la sublime jeune femme dans les plus hautes annales de l'Empire et, en même temps, ils la promet à l'aspic bref. C'est nous éloigner beaucoup d'Héléna - dont le prénom, en effet, peut sembler une salutation à l'Hélène de Jouve, mais c'est aussi toutes les autres Hélène que l'on sait : celle de Ronsard, celle de Troie, et l'impératrice byzantine qui sut retrouver dans un rêve le lieu de la Nativité et les débris de la Croix ! Toutes les femmes, crucifiées et vivifiées, vivifiées et crucifiées, par l'intensité de notre désir d'hommes qui les traverse, toutes les femmes, dans une splendeur de nudité voilée et dévoilante, violée et violente, ne sont-elles pas allégoriquement des Héléna... ou des Béatrice? Avec moi, il faut toujours en revenir à quelque sacré : j'aime bien moins que le Christ soit, selon ce qui en a été dit, le Fils de l'Homme qu'il ne soit celui que Madeleine aima et qu'elle voulut toucher dans un jardin ; j'aime que Mahomet, le Prophète de l'Islam, ait voulu rendre le dernier soupir contre le cou de son épouse préférée, Aïcha, et qu'il soit mort là, lui, l'athlète spirituel, sur le petit bout de territoire d'une peau aimée.
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Béatrice Bonhomme    Quelle est la place de la femme dans votre poésie et que pensez-vous de cette "définition possible" que vous en donnez dans Lecture d'une femme ? : "Fleur-bête" ?
Salah Stétié    N'ai-je pas déjà répondu à votre question à travers tout ce que je viens de vous dire. Je suis le fils de la femme, et de la langue on dit qu'elle est matricielle et, aussi, qu'elle est maternelle. La poésie, ma poésie en tout cas, se situe au confluent de l'Etre-femme et de l'Etre-langue. N'ai-je pas intitulé l'un de mes recueils L'Etre-Poupée * , sacralisant par là et l'Etre et la Poupée dont la complémentarité ontologique me paraît évidente. Kleist et Rilke vous le diront :  on ne fait pas de métaphysique sans la poupée et toute femme est la poupée, c'est-à-dire - sur un mode pudique, voilé d'enfance - l'idole (souvent pour elle-même autant que pour les autres) et la déesse. Aimer, ai-je dit, c'est désirer et désirer c'est détruire ; mais c'est détruire la poupée pour frayer le chemin à la déesse : comme vous pouvez le constater : très physique, je suis éperdument platonicien. Comprenne qui pourra. "Fleur-bête", dites-vous ? Ai-je vraiment écrit moi-même cette "définition possible d'une femme "? Alors, je me serais trompé rien que pour le bonheur de faire un mot. Ou, plus mystérieusement, aurais-je dû écrire bête avec un B majuscule pour bien montrer, derrière la poupée, le fauve. D'ailleurs la suite de la phrase parle de "règnes", entendons : "règnes" de la nature et se trouve ainsi amplifiée la dimension quasi cosmique de la formule : "définition possible d'une femme, si ces deux mots accolés voulaient, sans se fracasser l'un contre l'autre ni à se mal mirer l'un dans l'autre se nuire, fondre leurs règnes". Ainsi encore "fleur-bête" devient ce qui m'importe le plus dans l'écriture et... ce qu'elle exprime : une évidence, oui, mais novatrice. L'essentiel, de toutes façons, c'est qu'on comprenne bien que pour moi hors de la femme point de poésie et hors de la poésie point de salut.
Béatrice Bonhomme    Pourquoi écrivez-vous ? Pourriez-vous déterminer un centre imaginaire qui puisse en quelque sorte constituer l'origine de votre oeuvre ?
Salah Stétié

   Je vous l'ai dit : j'écris pour le salut. Il me semble que, par la poésie et contre la culture, on parvient à protéger en soi et de soi la parcelle intacte, celle - émotion ou pensée - dont seule la langue est comptable : puisque notre langue est capable, plus légère et plus innocente que nous, de conserver par devers elle un peu de ce que nous ne nous savions pas contenir, une blessure plus profonde que l'amour-propre, une rose prise et restée odorante aux replis de nos fatigues, un peu de lumière venue de l'origine et gardée par la terrible enfance. Enfance, ai-je dit. Nos mots sont nos enfants et nous sommes les enfants de nos mots : c'est là sans doute l'équation secrète du poème qui n'est, dans les difficultés, les interrogations et les épines de toutes sortes, qu'une remontée d'enfance, une main tendue dans la grande distance et qui, là-bas, rencontre la petite main d'un enfant qui s'en saisit. Cet enfant est notre aïeul : c'est pourquoi le poème est si souvent de tendresse et de solennité mêlées : voyez Saint-John Perse, et aussi Nerval, et aussi Baudelaire. L'enfant de poésie est le plus substantiel allié de l'homme de poésie. Et c'est lui, l'enfant, mystérieusement retrouvé, qui sait "donner un sens plus pur aux mots de la tribu". Vous me direz peut-être que je m'avance ainsi dans un royaume de sensibilité de nature un peu vague, un peu intuitive, un peu égarée, un peu féminine, sans doute un peu sentimentale même : je n'en sais trop rien. Je n'aime dans la poésie que ce qui avoue une vulnérabilité. Une poésie armée et casquée, savante et hautaine, linguistique et rhétorique, oui, une telle poésie existe, mais d'aucune façon elle ne saurait être la mienne. "Enchaîner une analyse à une synthèse" énonçait froidement Paul Valéry pour définir le type de poème qu'il souhaitait. C'est l'expérience qui m'importe et c'est dans l'expérience la négation de celle-ci, dans l'aval le retour amont. L'émotion peut-elle redevenir première, comme cette rue Campagne Première qui ravissait tant les surréalistes, Breton souhaitant justement que les mots renouvelés par leur nouvel usage contre leur ancienne usure fissent, justement, campagne première. Voilà qui réduit à néant l'ambition "scientifique" des structuralistes quand ils prétendent s'attaquer au poème. Ce langage-là, celui du poème, est trop nu pour qu'ils puissent s'en prendre à lui, fût-ce avec une sympathie connaissante, sans causer les pires dommages à l'inspiration première dans la langue première : à cette inspiration - et à leur science, par ailleurs si respectable et nécessaire. 

   Le "centre imaginaire de mon oeuvre" comme vous dites, Chère Béatrice, est - du moins en poésie - la remontée, très rare, angoissante, aux lieux de l'origine, à l'instant où la parole sort toute mouillée encore d'eau lustrale et toute proche du balbutiement, mais parlant contre lui, se formant et s'ouvrant comme se déchiffonne un bourgeon, et la main de l'homme mûr est tentée, émerveillée, de s'approprier ce bourgeon et elle ne le fait pas - et quelqu'un, on ne sait plus qui, pleure et c'est de bonheur peut-être. 

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Béatrice Bonhomme    Quels sont parmi les poètes actuels, ceux dont l’œuvre vous touche le plus ?


Salah Stétié    Ceux à qui il m'est arrivé de dédier un poème ou un ouvrage. Car j'aime offrir pour matérialiser mon admiration. Recensez mes quelques dédicaces.


Béatrice Bonhomme    Comment voyez-vous la nudité ? Dans Le Nibbio vous parlez (à propros de la lecture) d'une "nudité de jouissance" d'un côté et d'une "nudité d'examen et d'observation clinique" de l'autre. Quel sens accordez-vous au terme de nudité dans ces deux cas ?


Salah Stétié    J'ai, me semble-t-il, amplement - directement ou indirectement - répondu à cette question. La nudité est pour moi le lieu de la vérité. Quand on dit que la vérité sort nue du puits, on ne dit rien : qu'est ce que le misérable symbole du puits vient faire là-dedans et pourquoi la vérité y logerait-elle ? La vérité est que tout est nu, le soleil, la lune, les étoiles, les plantes, le sable et la mer, et que c'est le monde de l'homme qui est costumé. C'est l'homme qui, par besoin de confort et de morale, a créé l'ensemble de ces superstructures qui - langue, code, habitation, habillement - nous retranchent de l'univers initial. Je n'entends nullement faire ici du rousseauisme naïf et je comprends parfaitement qu'il ait fallu, à l'homme, s'intégrer aux signes par lui inventés de sa culture pour se protéger dans le déchaînement de l'incompréhensible univers, si puissant, si périlleux. Nous habitons une coquille que nous avons secrétée - qui est sans doute notre sauvegarde et qui est, aussi bien, notre mort. Parlant, en effet, de la manière de lire, je dis dans Le Nibbio * qu'il importe de retrouver dans un texte cette émotion première qui lui a donné naissance, par-delà tous les codes présents dans le moindre de nos langages et c'est cela, ces retrouvailles affectives avec l'émotion, que j'appelle la "nudité de jouissance" ; mais comme il convient aussi de comprendre ce texte et d'en faire une articulation conceptuelle, on déshabille de sa chair le squelette et l'on ne garde plus que celui-ci qui, selon moi, quoique indispensable, est une forme du rien. Est-ce tout à fait exact ? Je pense que non et il m'apparaît que le squelette conceptuel, révélé par "la nudité d'examen" et "l'observation clinique" aide, jusqu'à un certain point, à mieux approcher l'énigme, en ce qu'elle a justement d'énigmatique et d'inanalysable. Il faut comprendre assez pour s'égarer du côté de l'incompréhensible. Le sens clair ajoute son signe à l'autre sens que nous savons plus significatif encore et qui pourtant nous reste obscur. J'ai écrit dès mon premier livre, Les Porteurs de feu * , sur la poésie : "L'obscur porte l'éclat".


Béatrice Bonhomme    Toujours dans le nibbio vous parlez du "nu" et de "l'un" ? pourriez-vous expliciter le rapport de ces ceux concepts ?


Salah Stétié    La nudité, qui est un retour à l'essentiel, fonde l'unité, qui est le lieu d'enracinement de l'essentiel. J'aime que la langue, par l'interversion des deux mêmes lettres, dont le dessin déjà dit l'identité inversée, formule à sa façon mystérieusement naïve cette équation de base : plaine, plateau de l'horizontalité verticale. Comprenne qui pourra. "Dieu est un désert debout", assurait déjà Maître Eckhart.
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Béatrice Bonhomme

   Il y a un enfant sans cesse présent absent dans votre oeuvre "L'enfant jamais venu". Je suis très frappée en particulier par cet "enfant d'enfance" dans L'autre côté brûlé du très pur. * Quelle place accordez-vous dans la genèse de votre poétique à l'enfant et à l'enfance ?

Salah Stétié    L'enfance est la patrie d'une totalité perdue et qu'il faut à tout prix retrouver si l'on veut sortir de l'exil. Nous habitons tous le lieu de cendre : c'est le « très pur » notre seule patrie. La poésie, en ce sens, est rapatriante. Nerval, Rimbaud, Saint-John Perse, Schehadé ont dit, à ce propos, des choses définitives. Curieusement la poésie arabe, dont je crois procéder intuitivement par mon appétence pour le sacré, ne connaît pas l'enfance : « L'enfant jamais venu » , peut-être est-il aussi, derrière la blessure ouverte, l'enfant de cette absence majeure, de ce défaut au pli de la mémoire.
Béatrice Bonhomme    La lampe est une image récurrente ? Pourquoi ?
Salah Stétié    Je suis fils de l'Orient, un fils de la lumière. La lumière est le lieu du sens, le lieu de la désignation, de la nomination. Aton, dans l'Egypte pharaonique est le dieu-soleil de qui les rayons d'amour se terminent par des mains caressantes. Et pourtant le nom «  Egypte », d'après Hérodote, signifie «  ténèbres » comme pain cramé. « Dieu est la lumière des cieux et de la terre » dit, de son côté, le Coran. Et pourtant que ce Dieu est obscur, inapte à toute saisie que nous pourrions vouloir en entreprendre, abscons, « plus proche de toi, dit le Coran, que ta veine jugulaire » et cependant que terriblement lointain ! Entre cette lumière énoncée, annoncée et la ténèbre tombée sur l'Etre une fois pour toutes, entre cette distance incommensurable et cette proximité murmurante du sang, la lampe, et l'huile qui la nourrit, me sont apparues depuis toujours comme présence humblement médiatrice. Qui, de nous, n'a besoin de cette médiation, rassurante, pour survivre, pour consentir à habiter un peu au sens où, dit Hölderlin, « c'est poétiquement que l'homme habite cette terre ». Parmi toutes les ayât du Coran, tous ces versets qui veulent, plus que des preuves démonstratives, fournir de Dieu des épiphanies langagières et, dirai-je, des figurations verbales qui sont autant de monstrations paradoxales, il en est une que j'admire entre toutes et qui, justement, "enferme" si je puis dire l'idée de la Divinité dans l'imagination d'une lampe.

Je cite :

Sa lumière est comparable à une niche                     
où se trouve une lampe.
La lampe est dans un verre ;
Le verre est semblable à une étoile brillante

Cette lampe est allumée à un arbre béni :
l'olivier qui ne provient
 ni de l'Orient ni de l'Occident
et dont l'huile est près d'éclairer sans que le feu
la touche

Lumière sur lumière !
Dieu guide, vers sa lumière, qui il veut.

Cette « ayât » 35 de la sourate XXIV intitulée précisément  « La lumière » me paraît, dans sa splendeur allégée, admirablement parlante. Sans doute éclaire-t-elle en moi, en deçà de toute conviction dite religieuse, une spiritualité de l'illumination intérieure où vient s'éclairer à son tour, toute d'allusion et d'humanité fragile, L'Obscure lampe de cela * qu'il m'est arrivé de décrire.
Béatrice Bonhomme

« Et que donnez sinon le don et que donner »
         

Votre poésie est-elle une poésie du don ?


Salah Stétié Peut-être, peut-être. Tout poème est un reçu et un donné.
 

2005

Traversant avec Pierre Jean Jouve

 

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