Site Pierre Jean Jouve
|
|||
Où l’on retrouve Blanche Jouve dans l’œuvre d’Henry Bauchau | |||
Retour à la page d'accueil des Notes éparses |
par Régis Lefort |
||
Le premier texte que je citerai est le bel hommage rendue à Blanche dans « Blanche Jouve, le don de parole », dans Les Constellations impérieuses d’Henry Bauchau, actes Colloque de Cerisy 21-31 juillet 2001, Bruxelles : AML, 2003, pp. 15-28. Il est impossible de reproduire la totalité du texte ici. Je retiendrai seulement les dernières lignes dont le poème conclusif « La Science » (cf. Poésie complète, Arles : Actes Sud, 2009, p. 192) : |
|||
Elle est encore, en son
grand âge à son poste d’écoute Ses mains forment les
gestes du secret : J’accepte et je n’accepte pas La science de patience Est subie, est aimée, est
imprimée de force. La voix surprend :
Marée basse… marée haute. Elle fait tourner le
monde autour de son poignet Son sourire est d’une impatience admirable. | |||
Si Blanche Jouve se retrouve sous les traits de nombreux personnages féminins dans l’œuvre romanesque d’Henry Bauchau (Diotime dans Œdipe sur la route, Calliope également sous certains de ses aspects dans le même roman, Véronique dans L’enfant bleu, pour ne citer que ces trois personnages), c’est par La déchirure qu’il convient de commencer pour l’évocation de Blanche Jouve. Celle-ci s’y retrouve sous les traits de la Sibylle. Il faudrait reproduire toute le chapitre intitulé « La Sibylle la plus ancienne » (Bruxelles : Labor, 1998, pp. 32-37). Je retiendrai les passages les plus frappants : | |||
Elle était debout, devant son fauteuil,
tenant, comme on s’y attendait, une couverture dont elle se protégeait les
genoux. Cette couverture signifiait le passé. La personne – mais était-ce la
personne réelle ? – qui s’asseyait avec le passé sur les genoux, était
ancienne, elle n’était pas vieille. On avait en face de soi une femme avec tous
ses pouvoirs et, en plus, le poli du temps. On savait que dans une existence
antérieure, ou peut-être dans celle-ci par le jeu des images, elle avait exercé
la magistrature profonde et proféré les paroles de la terre. On l’appelait Madame mais, intérieurement, on était obligé de nommer une Sibylle, ce qui était dangereux, car c’est avec elle que s’engageait, sur une couche obscure, le véritable dialogue. (p. 34) | |||
Une autre des évocations frappantes de la Sibylle/ Blanche se situe dans le chapitre « La Grande Muraille », qui représente métaphoriquement la muraille familiale qui empêche. La Grande Muraille est aujourd’hui le titre du journal de La déchirure, où Henry Bauchau évoque très régulièrement Blanche (il est étonnant de remarquer que Blanche et la Sibylle, si elles sont bien évoquées distinctement au début du journal, tendent à se confondre dans une même entité féminine au fur et à mesure de l’avancée du journal ; le phénomène est récurrent puisqu’il existe aussi avec le personnage de Mérence, personnage fantasmée de la mère). Ici, dans La déchirure, la Sibylle est assimilée à une autre Grande Muraille : | |||
Ce n’est pas ce que je croyais, la Sibylle
n’est pas celle qui sait, encore moins celle qui conseille. Elle est celle qui
est assise et qui écoute. Alors que je suis toujours ailleurs, dans le passé ou
dans l’avenir, elle est présente, elle est là. Insignifiante parfois, au milieu
des rendez-vous de la semaine. Occupant tout, obstruant tout, inévitable,
lorsque l’angoisse s’avive. Elle est aussi une Grande Muraille. Silencieuse,
impénétrable, barrant l’horizon comme l’autre. Elle s’oppose, elle me fait face
de son étendue protectrice (mais toujours protectrice de l’autre côté, celui de
la Chien intérieure qu’on ne voit pas encore). Il est vrai qu’elle m’écrase
mais c’est d’une manière qui n’a rien d’irréparable. Elle n’est pas faite,
comme nous, de pierres froides, mais de roche vivante, toujours chauffée par le
soleil ou rafraîchie par l’ombre. Au lieu de l’ossature sévère et de la
terrifiante monotonie du Vieux Mur, on découvre en elle un perpétuel
foisonnement de formes heureuses et imprévues. […] La Sibylle est une autre Muraille, qui m’invite à parler et non plus à me taire. (pp. 62-63) | |||
Autre évocation de la Sibylle dans la restitution de ses paroles, le chapitre intitulé « La règle fondamentale » qui, du reste, fait écho à certains propos d’Henry Bauchau dans la revue Études freudiennes au sujet de ses séances d’analyse. Ici encore, la fiction rejoint la réalité, ou vice versa : | |||
La règle fondamentale c’est qu’il faut
tout dire. Les pensées, les rêves, les désirs : tous vos mensonges. Les
paroles sont comme l’eau, rien ne leur résiste. […] Le bonheur serait de me
taire mais la Sibylle ne veut pas mon bonheur. […] la règle – ou le silence de
la Sibylle – demeure, qui exige tout. (pp. 181-182) | |||
Enfin, le chapitre intitulé « La Sibylle en colère » est encore un moment fort du roman. La Sibylle change progressivement de statut : le narrateur, tiré d’affaire, continuera dès ce moment à faire vivre en lui une « Sibylle intérieure ». |
|||
Grâce à la Sibylle on a pu s’exprimer […]
Il y a de nouveau ce silence de fauve ensommeillé et le regard jaune et
circulaire que laissent filtrer ses paupières. (pp. 245-246). | |||
Haut de la page | |||
Retour à la page d'accueil des Notes éparses | Régis Lefort | ||
…/… (à suivre : l’évocation de Blanche/ La Sibylle dans La Grande Muraille) |
|||
Retour à la Page d'Accueil du Site |
© 2009, Régis Lefort - Tous droits réservés. Site « Pierre Jean Jouve » Sous la responsabilité de Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert Dernière mise à jour : 4 avril 2009 |