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Un panorama |
Pierre
Jean Jouve Un parcours biographique par Jean-Paul Louis-Lambert et Béatrice Bonhomme |
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• 1887-1920 - Première
vie
• 1921-1928 - Crise - Ruptures - Vita nuova • 1925-1938 - Les Années prodigieuses - cette page • 1938-1948 - La Catastrophe européenne |
1925-1938 — Les Années prodigieuses Deux époques |
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1925-1938 Les Années prodigieuses 1ère époque La Rupture Romans et poèmes 1925-1930 Noces (1925-1928) Paulina 1880 (1925) Le Monde désert (1926) Le Paradis perdu (1929 La Symphonie à Dieu (1930) Les Noces (1931) Voir aussi : Crise — Ruptures — Vita nuova à partir de 1925 - |
Les Années prodigieuses 1ère époque — La Rupture En 1928, Jouve renie ses oeuvres parues avant 1925. Il a rompu très explicitement avec son passé unanimiste et ses amitiés avec le groupe de l'Abbaye, mais aussi avec son passé "humaniste" (art social et pacifisme) et ses vieux amis, Duhamel, Arcos, Vildrac, et surtout Romain Rolland. Il ne compte plus maintenant que sur l'appui de sa seconde épouse, la future psychanalyste Blanche Reverchon. Il lit les mystiques et stigmatisés chrétiens, les grands symbolistes (Baudelaire, surtout) et Freud : c'est dans cette constellation qu'il trouve les "mots pour dire" ses émotions intimes. Entre 1925 et 1928, il publie ses premiers chefs-d'oeuvres, les poèmes de Noces (1925-1928), et ses deux premiers romans, géniales "chroniques romanesques", Paulina 1881 (1925) et Le Monde désert (1926). Après sa rupture définitive
de 1928, Jouve continue
simultanément son oeuvre poétique et son oeuvre romanesque. Le grand
poème du Paradis perdu (1929)
utilise la métaphore biblique pour nous
conter son changement de vie. Le roman Hécate (1929) ouvre le cycle de
« Catherine Crachat » par le récit des amours chaotiques de l'actrice
Catharina, du poète-mathématicien Pierre Indemini et de la baronne
multi-récidivistes
Fanny Felicitas Hohenstein. En 1930, Jouve publie simultanément le
deuxième volet des Noces, La Symphonie à Dieu, qui se ressent de son
compagnonnage avec Hölderlin dont il a traduit les poèmes de la
folie avec la collaboration de Pierre
Klossowski. En 1931, Jouve publie
Les
Noces qui regroupent Noces de 1928,
et la Symphonie à Dieu. Une
période
fructueuse s'achève, une autre commence. |
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Vers 1931, une nouvelle rupture ? |
Il est difficile de connaître les causes, ou les motivations, de Jouve pour changer à nouveau de direction dans son travail. Sans doute est-il influencé par son travail avec Blanche Reverchon qui (semble-t-il, les dates sont incertaines) devient membre de la Société psychanalytiquede Paris (la SPP) en 1928 et pratique alors la psychanalyse. Sa connaissance plus approfondie de la théorie freudienne pousse Jouve à plonger plus profondément dans ses rêves et sa psyché. |
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1925-1938 Les Années prodigieuses 2nde époque Le Mythe d'Hélène et le roman de Lisbé Poèmes et romans 1931-1938 Histoires sanglantes (1932) Sueur de Sang (1933-1935) La Scène capitale (1935) Matière céleste (1937) Le Paradis perdu |
Les Années prodigieuses
2nde époque — Le Mythe d'Hélène et le roman de Lisbé Le deuxième volet du cycle de Catherine Crachat n'est plus vraiment un roman : Vagadu est une suite de rêveries provoquées par l'analyse que Catherine suit pour soigner sa dépression et son sentiment de stérilité. Son psychanalyste est "M. Leuven", où l'on reconnaît Rudolph Loewenstein, l'un des fondateurs de la SPP qui a dirigé l'analyse didactique de Blanche Reverchon. Ce roman expérimental (au sens le plus avant-gardiste du terme) s'appuierait sur des documents analytiques donnés à Jouve (par Blanche).
Cette plongée dans la psyché la plus tumultueuse est ensuite illustrée par Les Histoires sanglantes (1932), qu'il est difficile de qualifier : nouvelles ? contes ? récits de rêves ? La première histoire ("La Fiancée") s'inspire de l'histoire de Wozzeck à travers l'opéra d'Alban Berg, compositeur qui comptera beaucoup pour Jouve. Les autres récits sont sarcastiques et souvent ironiques. C'est le moment
où la "seconde topique" de la théorie freudienne
commence à être connue, et elle touchera fortement Jouve. La
psychanalyse est illustrée de façon didactique par un article, "Moments
d'une psychanalyse", cosigné
par Blanche et Jouve dans la NRF de mars 1933, et d'une façon à la fois
théorique et poétique par la parution de la première édition de Sueur
de Sang Cette seconde période des années prodigieuses est sans doute marquée par un (des ?) épisode(s) privés, à la fois exaltant(s) et douloureux, et le thème de l'amour mêlé à celui de la mort va prendre un accent plus virulent, Jouve va métaphoriser cette thématique par le thème de "La Faute" et justifier son sentiment de culpabilité par "Le roman de Lisbé" qu'il nous racontera plus en détails en 1954 dans En miroir. Au printemps 1933, Jouve aurait retrouvé la jeune fille, Elisabeth V., connue 24 ans plus tôt (en 1909) et dont il avait fait l'héroïne de La Rencontre dans le Carrefour, ce roman renié de 1911. En 1934-1936, Jouve aurait connu avec elle une aventure adultère érotique qui s'achève à la noël 1936, quand Lisbé meurt d'un cancer du sein gauche qui l'avait laissée "en amazone".
"Lisbé"
serait l'une des figures féminines (il y en a d'autres !) qui
sont à l'origine de la création des héroïnes des deux récits de la
première Scène capitale
de 1935, Dorothét et Hélène. Dorothée, l'héroïne de "La
Vicime", et Hélène, l'héroïne du magnifique récit "Dans les
années profondes",
ces
"objets fascinants, capables de nous troubler profondément et d'envahir notre rêve" (Jean Starobinski). Le second récit, "Dans les années profondes", est l'une des réussites les plus brillantes de la prose du XXe siècle, et il est dommageable que les écrivains (importants) qui l'ont certainement lu et médité soient resté discrets sur cette influence souterraine. En 1937, dans les élégies somptueuse de Matière céleste, ce chef-d'oeuvre poétique où Jouve chante la mort d'Hélène (et de Lisbé), en mêlant images et musique des mots comme peu de poètes y sont parvenu. En 1938,
Jouve
publie la grande édition, chez le génial éditeur typographe Guy Levis
Mano (GLM), du Paradis perdu, avec douze gravures
de Sima et une
préface inédite, "La Faute", où Jouve théorise sa vision poétique de la
tragédie humaine.
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Première
et seconde époque des Années prodigieuses Essai de chronologie |
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1925-1928 Cette période a été détaillée dans la page : Crise — Ruptures — Vita nuova à partir de 1925 |
Vita Nuova et création Début de la première époque des Années prodigieuses (panorama
succinct)
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Noces (1925-1928) Paulina 1880 (1925) Le Monde désert (1926)
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Jouve rompt avec ses premiers compagnons du groupe de l'Abbaye, unanimistes, socialistes et pacifistes : Georges Duhamel, Charles Vildrac, René Arcos, Frans Masereel et Romain Rolland. Cette rupture a lieu au moment où plusieurs de ses amis créent la revue Europe. Cette revue sera souvent proche du parti communiste français (Jouve a d'ailleurs écrit dans L'Humanité en 1921-1922) et elle est toujours active aujourd'hui.
La parution de Noces au Sans Pareil en 1928 est l'occasion pour Jouve d'écrire explicitement sa rupture avec son "premier ouvrage" et de faire un premier bilan poétique car ce recueil regroupe ses premières plaquettes et des poèmes inédits. |
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1928-1930 |
Romans et poèmes Suite et fin de la
première époque
des Années prodigieuses |
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Compagnonnage avec Gabriel Bounoure |
Jouve est devenu un "auteur NRF" et il peut négocier avec Jean Paulhan pour savoir qui va écrire sur Noces dans la revue de Paulhan. Il commence à prévoir la parution du Paradis perdu dont des extraits paraissent dans la NRF. En parallèle, Joseph Sima a composé ses gravures pour ce poème de Jouve, mais elle ne paraîtront que 10 ans plus tard. Jouve commence à entrer en relation avec Gabriel Bounoure. C'est Paulhan qui a imposer que Bounoure écrive sur Jouve dans la NRF, et Jouve, après des réticences, va devenir un très bon ami de Bounoure pour de longues années. Professeur et critique, Bounoure a été une "plume" importante sur la poésie contemporaine. Longtemps en poste à Beyrouth, Bounoure a été un "passeur" entre l'orient et la France. Jouve a aussi écrit Hécate, et le manuscrit est confié à Paulhan. A partir de 1928, Jouve commence également à travailler à la traduction de poèmes de Hölderlin. |
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Correspondance
avec Karin Pozzi |
A partir de février 1928, Jouve commence à fréquenter Catherine ("Karin") Pozzi qu'il a connue chez Daniel Halévy. Catherine Pozzi est un personnage volontairement en retrait, mais considérable. Elle est divorcée du dramaturge à succès Edouard Bourdet (et mère du futur célèbre journaliste résistant déporté Claude Bourdet). Catherine Pozzi a une vaste culture (scientifique en particulier), mais elle a une théorie psychologique personnelle tout à fait incompatible avec la psychanalyse telle que Jouve l'illustre. De 1920 à 1928 elle a été la brillante maîtresse de Paul Valéry (poète que Jouve critiquera à diverses reprises). Karin Pozzi publie très peu, mais sa nouvelle Agnès (1927) et le poème Ave (" Très haut amour, s'il se peut que je meure", NRF, 1927) ont eu de nombreux lecteurs. Il est difficile de juger la relation de Jouve et Karin Pozzi à travers ce qui reste de leur correspondance et des quelques passages du Journal de celle-ci : Jouve et Karin Pozzi étaient trop "perturbés" pour se supporter réellement. Karine Pozzi aurait ébauché un roman à Clef, Monsieur Chose, où Paul Valéry serait "Pierre Portejour" et Pierre Jean Jouve, "Poète Hagard". Il faut consulter le Journal de Catherine Pozzi et sa Correspondance avec Paulhan (éditions Claire Paulhan). On peut supposer que cette relation a marqué le poète. Karin Pozzi meurt de tuberculose en 1934. |
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Hécate (1928) Lire Hécate aujourd'hui |
En octobre 1928, paraît Hécate, troisième roman de la vita nuova de Jouve, brillant (et très moderne) jeu sur les glissements de la narration (Philippe Raymond-Thimonga) qui raconte les amours perturbées de l'actice "Catharina", pseudonyme de "Catherine Crachat" — "Quel nom pour une créature de douleur !" —, du poète-mathématicien Pierre Indemini (un double de Pierre Jean Jouve) et de la baronne Fanny Felicitas Hohenstein, amoureuse multi-réciviste, qui multiplie les mariages, les amants et les amantes. Cette "chronique romanesque" écrite sur un ton très vif sous-entend des drames intimes qui seront explicités plus tard : dans ce roman, on les devine derrière les morts et les suicides. Nous proposons une lecture d'Hécate aujourd'hui. C'est Bernard Groethuysen qui écrit une recension sur Hécate dans la NRF (mars 1929). Dans les Cahiers du Sud, la recension a été écrite par Jean Audard, philosophe proche du Grand Jeu, qui connaissait le marxisme et la psychanalyse.
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Paradis perdu (1929) |
En mai 1929, La NRF commence la parution de poèmes de Hölderlin traduit par Jouve avec la collaboration de Pierre Klossowski. Cette traduction est critiquée par Bernard Groethuysen, ce qui déplait fort à Jouve. Une brouille naît et se dissipe (on n'en connaît pas les détails). En Juin 1929, paraît la première édition du Paradis perdu dans les Cahiers verts de Daniel Halévy (Grasset). Jouve a dû renoncer provisoirement à une édition de luxe avec les gravures de Joseph Sima. |
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Poèmes de la folie de
Hölderlin traduits par Pierre Jean Jouve avec la collaboration de Pierre Klossowski, préface de Bernard Groethuysen Voir La rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski sur le Site Terre de Femme La Symphonie à Dieu (1930) |
Fin 1929-tout début 1930 paraissent chez Fourcade les Poèmes de la folie de Hölderlin, traduite par Jouve avec la collaboration de Pierre Klossowski (et celle de Blanche Reverchon et de Magaret [von] Wyss-Vögtlin), avec une préface de Bernard Groethuysen (largement reprise de son article de 1925 dans la NRF). C'est le premier volume de traduction de poèmes de Hölderlin paraissant en France. A cette époque paraissent aussi des traductions d'Hypérion (par Joseph Delage, ed. Victor Attinger) et de la Tragédie d'Empédocle (par Jean Babelon, Gallimard), ainsi que la monographie de Stefan Zweig. Ces publications autour d'Hölderlin font l'objet d'une recension par Jacques Decour dans la NRF. En avril 1930, paraît (chez Gallimard) une superbe plaquette de poèmes La Symphonie à Dieu avec une belle gravure de Joseph Sima et une typographie originales en deux couleurs sans doute conçue par Jouve et André Malraux, alors directeur artistique chez son éditeur. On peut y lire l'influence du travail de Jouve sur Hölderlin, exemple de poète mystique non religieux. S'y montre aussi la "poussée sensuelle" (En miroir) qui va de pair avec l'inspiration mystique (Philippe Raymond-Thimonga). |
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1931-1938 |
Poèmes et romans Seconde époque des Années prodigieuses
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Les
Noces Voir la page Les Noces de Wikipédia (1931) |
En 1931, Jouve travaille sur Vagadu, qui est une sorte de suite d'Hécate et il prépare ses Histoires sanglantes. Dans sa correspondance avec Jean Paulhan, on sait qu'il sollicite celui-ci pour une préface à Vagadu — roman difficile et très psychanalytique — qui exigerait une lecture "plus intuitive qu'intelligente". Paulhan esquivera et c'est Jouve qui rédigera un "avant-propos" et qui publiera un "Commentaire à Vagadu" dans la NRF (décembre 1931). Gallimard publie Vagadu en septembre 1931 et Les Noces en novembre. Jouve envoie ses "Commentaires à Vagadu" à Freud qui lui répond par une brève carte. Les Noces de 1931 n'apporte pas de nouveaux poèmes. Ce recueil collectif comprend deux parties. La première reprend essentiellement Noces de 1928, avec quelques modifications et corrections). La seconde partie est constituée par La Symphonie à Dieu de 1930.
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Vagadu (1931) |
A l'opposé,
le roman Vagadu affiche
une forte évolution de l'art de Jouve. Ce roman est souvent considéré
comme difficile à lire, et
on peut le juger comme aussi "expérimental" que Ulysse de Joyce (1922). Certains
commentateurs ont estimé qu'à quatre-vingt
pour cent, ce livre est constitué de "chaînes de rêves" vécues
par Catherine Crachat, l'héroïne d'Hécate,
pendant sa psychanalyse avec
"M. Leuven". Catherine est dépressive et est marquée par un complexe de
"stérilité". Le roman va nous conter la souffrance de Catherine "aux
prises avec elle-même" (En miroir)
et son évolution à travers son
analyse. On peut considérer qu'elle réussit à remonter aux origines de
sa névroses et à en guérir (rôle de la "petite X", son double
psychique, son "imago").
Jouve a dit (en particulier dans sa correspondance à Paulhan) avoir composé son roman à partir d'un "document" authentique, "d"une grande précision" (En miroir). Il peut s'agir de la psychanalyse d'une patiente de Blanche Reverchon. Il peut aussi s'agir de la propre psychanalyse initiale de Blanche avec Eugénie Sokolnicka (la "Mme Sophronicka" des Faux-Monnayeurs d'André Gide) ou de l'analyse didactique de Blanche avec Rudolph Loewenstein (le "M. Leuven" du roman), l'un des fondateurs de la Société Parisienne de Psychanalyse en 1926, qui a aussi analysé des psychanalystes aussi importants que Jacques Lacan (qui se brouilla avec lui), Daniel Lagache, Sacha Nacht, Adrien Borel. Rudolph Loewenstein, émigré d'Allemagne, avait dû repasser tous ses diplômes en France. Lors de l'invasion nazie, il quitta la France pour les Etats-Unis où il fit une troisième carrière, devenant un des analystes vedettes de ce pays : ainsi, il a analysé le dramaturge Arthur Miller, le mari de Marilyn Monroe. |
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L'Inconscient,
la psychanalyse, Jouve et les surréalistes |
Vagadu peut aussi avoir des sources dans les propres fantasmes de Jouve, passé maître dans l'art de projeter son intériorité dans ses personnages, féminins tout particulièrement : "j'avais
à révéler le drame de la plongée en soi et plus loin que soi, plongée
qui peut être si éprouvante pour la personne, ensuite le mouvement de
la personne parvenant à découvrir l'issue" (En miroir)
Les commentateurs modernes (depuis Géraldine Lombard) utilisent ce texte pour analyser la méthode pratiquée par Blanche Reverchon pour analyser ses patients à cette époque-là, méthode qu'elle appliquait certainement à son mari, quand celui-ci lui racontait ses angoissants rêves de sa précédente nuit. Vagadu doit être considéré comme le premier roman français réellement basé sur "la matière psychanalytique", par un écrivain connaissant concrètement la psychanalyse (Gide, dans Les Faux-Monnayeurs, ne montre pas une compétence réelle en ce domaine). Il y a là une concurrence avec le Surréalisme : Jouve ne reconnaît pas l'authenticité de la démarche surréaliste et il réprouve la pratique de l'écriture automatique : "On voit ce qui, à l'époque, m'opposait aux productions surréalistes. Je n'acceptai, ni l'emploi du mécanisme de l'automatisme verbal pour lui-même, ni la fabrication de fantômes plus drolatiques que réels, ni l'exploitation publicitaire de l'inconscient." (En miroir) |
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Fin 1931, Pierre et Blanche Jouve quittent la rue Boissonnas pour le 8 de la rue de Tournon (quartier de l'Odéon). |
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La démarche "psychanalytique" de Jouve va continuer à s'affirmer dans son oeuvre. Les Histoires sanglantes sont un recueil difficile à classer : nouvelles ? contes ? récits de rêves ? Plusieurs d'entre elles sont publiées par Paulhan dans la NRF d'avril 1931. Jean Wahl, qui sera un très bon et très fidèle ami des Jouve, y publie dans le même numéro un article sur Kierkegaard où Jouve voit un philosophe à son image, entre la religion et la connaissance de l'inconscient, où le sentiment dépressif porte le beau nom de "désespoir". |
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Les
Histoires sanglantes (1932) Jouve a regroupé les Histoires sanglantes de 1932 avec La Scène capitale de 1935 |
Les Histoires sanglantes paraissent en décembre 1932 chez Gallimard. Ce recueil commence par une préface consistante, "Considérations sur le sujet" (qui sera supprimée dans les rééditions tardives) : "Si
l'homme est pécheur, et si la
forme de la plus visible à nos yeux de son péché d'origine est le
désespoir, il faut convenir qu'une terrible porte [la psychanalyse ?]
lui est maintenant ouverte". [...] il ne faut pas oublier
le mot éclair de Kierkegaard : "Le désespoir est donc en nous" [...]
L'Homme est coupable
de vivre. [...] Le sens
de la
mort — le vouloir détruire la vie — fait face
au sens de la vie ou sexualité, — et( ce sens de la mort qui habite
l'homme et le cisèle avec patience, en soi, est le témoin d'une
catastrophe originelle." (Jouve, "Considération sur le sujet").
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On voit donc que Jouve, certainement informé par Blanche Reverchon, connaît la "seconde topique" de Freud, l'opposition entre la pulsion de vie ("Eros") et de la pulsion de mort ("Thanatos"), qu'il interprête à sa façon. La première "Histoire sanglante" s'intitule "La Fiancée"; c'est une variation sur le thème de Wozzeck, l'assassinat par "Joseph" de "Marie" (jalousie) et son suicide. Jouve avait connu l'argument de la pièce de Buchner par l'intermédiaire de l'opéra d'Alban Berg dont il avait entendu une suite de concert. C'est la première écriture de Jouve à propos du compositeur autrichien : il y en aura beaucoup d'autres. Les autres récits sont certainement des récits de rêves rapportés de façon assez "brute de fonderie". Le thème de la prostitution apparaît dans "Dans une maison", et des souvenirs d'enfance traumatisants sont certainement en arrière-plan des "Rois russes" et de "Gribouille". Ces rêves sont certainement profondément retravaillés littérairement par Jouve, car y règne l'ironie supérieure de l'écrivain. Depuis 1948, les Histoires sanglantes sont regroupées avec la future Scène capitale (1935).
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1933 |
Que s'est-il donc passé ? Le roman de Lisbé
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Cachées derrière l'oeuvre écrite, des expériences existentielles cruelles |
L'année 1933 se présente de façon étrange. Nous avons vu que depuis 1931, Jouve a changé de "manière". Il s'est rapproché de façon visible de la "matière psychanalytique" et il n'écrira plus guère de romans apparemment classiques comme ses trois premiers romans de 1925 à 1928. En 1931, Vagadu est très expérimental et peut se lire comme une suite de rêveries psychanalytiques. En 1932, les Histoires sanglantes sont, pratiquement, des récis de rêves de Jouve lui-même. La future Scène capitale sera constituée de deux récits qui sont censés traités du même thème, avec des héroïnes qui meurent pour avoir connu des amours interdites avec des hommes. Ce thème s'oppose à un thème apparent dans les trois premiers romans où des "femmes fatales" (Paulina, Baladine, Catherine Crachat, Fanny Felicitas) semblent conduire des hommes vers la mort. Ce "retournement" est-il dû à son compagnonage avec Blanche, féministe et psychanalyste ? Jouve a-t-il eu des aventures privées ? Nous savons que Jouve a tenté une relation avec Catherine Pozzi que nous avons du mal à interpréter. Les Histoires sanglantes avouent le "goût [de Jouve] pour la prostituée" (En miroir). "L’inspiration jouvienne de 1925 à 1935 est donc marquée très fortement par la présence de Blanche à la fois muse et inspiratrice. Jouve restera toujours très attaché à Blanche — malgré ses aventures amoureuses, réelles ou imaginaires, avec d’autres femmes — et c’est Blanche qui maintenait un équilibre affectif autour du poète. Elle acceptait d’une certaine façon les rapports de Jouve avec d’autres femmes mais c’est elle qui gérait les relations et qui décidait le moment où les choses pouvaient devenir dangereuses." (d'après Béatrice Bonhomme, Quête) D'autres aventures amoureuses cruelles (à quelle époque ? un souvenir d'enfance ? de jeunesse ? de l'âge d'homme ?) ont-elle à ce point marqué Pierre Jean Jouve, que sa thématique propre — Eros, Thanatos et la Culpabilité — l'ont guidé, d'abord vers des chroniques où des femmes tuent des hommes, puis vers des tragédies où des hommes tuent des femmes ? Dans En miroir (donc en 1954, soit vingt ans après les faits racontés), Jouve nous conte l'histoire de Lisbé qui serait une des trois "personnes réelles" à l'origine du personnage mythique Hélène à qui Jouve va bientôt consacré un roman et un recueil poétique. |
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Le roman de "Lisbé" (1909-1987) Jean Starobinski La douce visiteuse (NRF, octobre 1987) Le roman de Lisbé, commencé en 1909, a dû attendre 1987 pour voir paraître sa version la plus complète. |
Au printemps 1933, Jouve retrouve — écrit-il en 1954 — la jeune fille qu'il avait connue en 1909, et dont il avait fait l'héroïne sacrifiée de la Rencontre dans le Carrefour, roman (renié) de 1911. En 1987, Jean Starobinski publiera le tome II de Oeuvre : ce volume contient Les beaux masques, texte posthume extrême, secret et confié à René Micha (vers 1940 ?) qui donne de la figure de Lisbé un éclairage beaucoup plus cru. Jean Starobinski publie à cette occasion, dans la NRF, la reconstitution la plus complète du roman de Lisbé sous le titre baudelairien, La douce visiteuse. Il aura fallu 78 ans pour que soient connues les différentes pièces d'un dossier qui demeure cependant bien mystérieux. Nous résumons cette aventure qui a été reprise par maint commentateur, au point que cette histoire est devenu un mythe collectif, annoncé par Jouve.
"par une radieuse journée d’avril [1933], je me trouvais remonter le boulevard R[aspail]. Je me souviens fort bien du mouvement singulier qui me fit descendre d’un autobus et reprendre à pied le chemin en sens inverse. Au coin même de la rue où avait été notre hôtel, une femme marchait à ma rencontre, elle s’arrêtait devant moi : la jeune beauté de jadis, les cheveux d’or, Lisbé." (En miroir) Jouve dit-il, est (24 ans après les évènements de 1909) à nouveau séduit par celle qui s'appellerait "Elisabeth V.", et qu'il appelle "Lisbé". Elle est depuis quinze ans l'épouse — jusque-là stérile — d'un officier en garnison. La pulsion amoureuse rapproche Pierre et Lisbé à nouveau violemment. Leur liaison, nous dit Jouve, durera moins de quatre ans, mais sera faite en réalités de brèves séquences. En 1933, la liaison n'est pas aboutie et se réduit à une correspondance qui sera détruite. Dans celle-ci, Lisbé apprend à Jouve qu'elle est pour la première fois enceinte de son mari. L'enfant meurt en naissant dans l'hiver 1933-1934. Au printemps 1934, Jouve et Lisbé se retrouvent, "l'accomplissement amoureux" a lieu, mais les deux amants adultères se quittent et la séparation dure deux ans. Jouve a une énome activité d'écriture pendant cette période, et nous y reviendrons. Signalons seulement l'écriture en 1933 et 1934 des récits de la Scène capitale et en 1935 des poèmes "Hélène". Les textes romanesques, magnifiques, mettent tous en scène la mort d'une femme à cause de ses amours interdites avec un homme. Dans "Hélène" apparaissent deux poèmes explicitement dédiés à Lisbé où celle-ci est déjà-morte. A la fin de l'hiver 1935-1936, Jouve retrouve Lisbé : celle-ci est maintenant une femme diminuée : elle a eu un cancer au sein gauche, et celui-ci a été coupé. Mais les deux amants ont à nouveau une relation érotique adultère. Jouve fait lire à Lisbé ses récits et ses poèmes qui s'inspirent d'elle — et où elle est déjà morte. Lisbé repart chez elle, et elle meurt de son cancer à la Noël 1936. Cet épisode amoureux où Jouve a connu une femme qui allait mourir et à qui il a décrit sa mort a rempli Jouve d'une intense culpabilité qui nourrit son écriture. Il théorisera cette expérience dans la préface "La Faute" de l'édition de 1938 du Paradis perdu.
"L'historicité" de l'histoire de Lisbé n'est guère mise en doute par les premiers commentateurs de Jouve — quoique certains écrivent de subtils sous-entendus, mais n'est-il pas fascinant de participer à la création d'un mythe collectif ? Tout vrai mythe n'est-il pas toujours la reprise d'une histoire toujours répétée par une communauté passionnée ? N'est-ce pas une histoire qu'on a déjà entendu de nombreuses fois et qu'on a toujours du plaisir à entendre ? Le "roman de Lisbé" a donné lieu à de magnifiques développements, par Jouve lui-même dans En miroir, où il s'explique longuement sur le miracle qu'a été sa rencontre avec Lisbé et l'écriture de textes prophétisant sa mort, puis il a été repris, développé, magnifié par René Micha (1956), Martine Broda (1981), Daniel Leuwers (1984), Jean Starobinski (1987), Pierre Silvain (2007). Aujourd'hui, une lecture soupçonneuse s'impose peut-être. "Comment ne pas voir que Catherine Crachat est déjà, comme Lisbé, blessée au sein dans Vagadu « celui (le tramway) de devant la heurta sous le sein et lui arracha la fourrure qu’elle portait à l’épaule » (V. II, 723), et que Marie meurt percée d’une atroce déchirure à son côté dans Les Histoires sanglantes. Comment ne pas remarquer que, même avant l’apparition de Lisbé, ces femmes sont souvent stériles (Paulina) ou porteuse d’un enfant mort, au moins de façon fantasmatique (Catherine Crachat) ? Peut-on, dès lors, avec Jean-Paul Louis-Lambert parler de « leurre littéraire », et penser que cette femme Lisbé est, avant tout, une femme de papier qui n’existe pas autrement que dans le texte jouvien ?" (Béatrice Bonhomme, Quête) Il y a certainement eu dans la vie de Jouve des événements graves, tragiques, vécues par ou avec des personnes réelles, qui ont fortement marqué la psyché de Jouve, mais y a-t-il eu une ou des "Femmes Lisbé" (Notes, Cahier de L'Herne, 1972), la question est posée. C'est le lecteur des récits et des poèmes de Jouve publiés en 1935 et 1936 qui décidera si les explications données par Jouve en 1954 (corrigées par les textes pornographiques des Beaux Masques) doivent être prises au pied de la lettre.
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1933-1935 |
Sueur de Sang et La Scène capitale Sous le signe de Lisbé et de Balthus Le Mythe d'Hélène |
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Dr
Blanche Reverchon-Jouve et Pierre Jean
Jouve : Moments d’une psychanalyse (NRF) |
La période qui débute en 1933 va être extrêmement riche en publications et événement divers. En mars 1933, la NRF publie un grand article (annoncé en capitales sur la couverture) signé par le Dr Blanche Reverchon-Jouve et Pierre Jean Jouve : Moments d’une psychanalyse. Ce sera le seul texte cosigné par le couple. Blanche y publie le cas de "Mademoiselle H". C'est un texte qui permet d'entrevoir la méthode de Blanche (usage des "imagos", selon la lecture de Géraldine Lombard). Deux
publications
contemporaines ont sans doute retenu l'attention de Jouve : la Cahier
du Sud consacré aux Elisabéthains
(Jouve avait déjà cité Marlowe — Le
Juif de Malte — en exergue au Monde
désert en 1927), et la
brochure éditée par la
Société des Nations (pour la version française en mars 1933), où Einstein et Freud, sous forme d'une
correspondance, s'interrogent : "Pourquoi
la guerre ?". A la
suite de cette dernière publication où Freud
expose pour un large
public son concept de "pulsion de mort", Jouve proposera à
Paulhan de
tenir pour la NRF une
rubrique de psychologie.
Jouve propose à Paulhan d'éditer l'Avant-propos dialectique
de Sueur de Sang dans la
NRF, sans résultat. La première édition de Sueur de
Sang,
ce
recueil percutant, paraît aux Cahiers
Libres en juin 1933. Quelques
exemplaires de luxe sont accompagnés d'une gravure d'André Masson, le
célèbre peintre et graveur qui a accompagné les surréalistes et Georges
Bataille (il appartient au groupe d'artistes exposés et édités par Daniel-Henry
Kahnweiler). Plus tard, Jouve écrira à propos et sur André
Masson. |
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Sueur de sang
(1ère
édition, Cahiers Libres) (1933) La Page sur Sueur de Sang de Wikipédia. |
Sueur de Sang est à la fois une
formidable
expérience poétique et
un manifeste aussi important que d'autres manifestes de cette
époque.
Mais Jouve est un homme seul, pas un chef de groupe organisant des
manifestations publiques — ce qui a nuit à sa
notoriété.
Jouve se considère comme mal traité par la NRF, aussi quand Paulhan publie dans sa revue une recension de Sueur de Sang où Raymond Schwab (un ethnologue et poète ayant à l'époque une certaine notoriété) critique violemment le recours à des thèmes explicitement sexuels et à des concepts psychiatriques dans des poèmes, il est ulcéré par cet article (télécommandé par Paulhan ?). Jouve se brouille avec le directeur de la NRF par une lettre très ferme : Pourquoi voulez-vous m'intimider ? Je ne suis plus intimidable. (Lettre de Pierre Jean Jouve à Jean Paulhan, 28 octobre 1933)
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Sueur de sang (2ème édition, Cahiers Libres) (1934) |
La brouille entre Jouve et Paulhan durera jusqu'en novembre 1934, ce qui, pendant une année, nous prive d'une des rares sources d'information directe sur Jouve, ses lettres à Paulhan. Pour l'année 1934, nous savons surtout que Jouve publie la deuxième édition de Sueur de Sang (toujours aux Cahiers Libres, en mai 1934) : il réécrit un paragraphe important de l'avant-propos (tout en maintenant la date de 1933) et il complète la section "Sueur de sang" par une nouvelle section : "L'Aile du désespoir", et un grand poème, "Piéta", dédié à André Masson. Mais surtout Jouve est lancé dans l'écriture de son grand cycle d'Hélène. Dans En miroir, il donne une version très romanesque et très tragique de cette aventure littéraire. En été 1933, Jouve aurait découvert l'Engadine, ce paysage suisse marqué par la présence de Nietzsche et Rilke (auteurs qu'il connaît bien) et le village de Soglio, et il y aurait écrit une première version de l'histoire d'Hélène née de ce paysage. Dans sa correspondance, "Lisbé" lui annonce sa grossesse inattendue. L'enfant serait mort à sa naissance. Jouve et "Lisbé" se seraient retrouvés au printemps 1934, et l' "accomplissement amoureux" aurait eu lieu, avant une séparation pendant laquelle "Lisbé" se découvre un cancer au sein gauche. Pendant l'été 1934, Jouve écrit La Scène capitale, qu'il aurait envoyé à Lisbé à la fin de l'hiver 1934-1935, pour qu'elle y lise le récit d'une mort qu'elle aurait inspiré. Le roman de Lisbé est synchrone avec l'écriture de La Scène capitale et des poèmes d'Hélène. Fin 1934, grâce à Bernard Groethuysen, l'ami commun (et
longtemps voisin des deux
hommes), Jouve se réconcilie avec Paulhan, et la
correspondance reprend en novembre 1934. Jouve hésite à une proposition
de
traduction de Hopkins, et il déclare qu'il ne veut plus travailler qu'à
traduire des amis vivants, comme les grands italiens Giuseppe Ungaretti et Aldo Capasso. Jouve envoie à Paulhan
ses nouveaux poèmes pour Sueur de
sang. |
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Sueur de sang (3ème édition, Gallimard) Les Cenci d'Antonin Artaud (NRF) (1935) |
En mai 1935, Jouve publie chez Gallimard la troisième (et dernière) édition de Sueur de Sang qui contient une nouvelle section inédite, "Val étrange". Simultanément, Jouve envoie le manuscrit de La Scène capitale à Paulhan. Jouve publie dans la NRF (juin 1935) une chronique sur Les Cenci d'Antonin Artaud. Si Jouve s'est à ce point intéressé à la seule manifestation publique du Théâtre de la Cruauté théorisée par Antonin Artaud, c'est que les décors ont été réalisés par un très bon ami, le très jeune peintre plein d'avenir, Balthus, le fils de Baladine Klossowska, que Jouve a connu enfant (avec son frère Pierre Klossowski) et qui a été soutenu par Rilke dès ses essais de jeunesse. Balthus, Jouve et Blanche Reverchon, avec leurs amis Pierre et Betty Leyris, constituent une nébuleuse mal connue, mais qui a eu un rôle très important dans l'histoire de l'art et la littérature. |
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Des amis de Pierre et Blanche Jouve : Balthus et ses proches |
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Une nébuleuse Balthus, Pierre et Betty Leyris, Antonin Artaud, Jouve et Blanche Reverchon Lien avec la biographie de Balthus sur le site de la fondation Balthus L'Eglise de Larchant photographiée depuis le "banc de Balthus". |
Jouve a dû connaître Balthus vers 1924 (celui-ci avait alors 16 ans). Dans les années trente Balthus a débuté sa carrière de peintre, et il vit d'abord de travaux de commande (portraits). Dans sa correspondance, il explique que lorsqu'il a des problèmes de logement, il va s'installer soit chez Pierre et Betty Leyris, soit chez Pierre et Blanche Jouve. Pierre Leyris deviendra l'un des grands traducteurs de l'anglais (et il recrutera des écrivains comme Jouve, Supervielle, Bonnefoy, du Bouichet, Butor ou Bernard Noël pour sa célèbre édition de Shakespeare des années 1950). Sa femme, Betty, appartient à une grande famille de colectionneurs anglais. Il existe un portrait célèbre du couple Leyris peint par Balthus en 1932. Mais surtout, en avril 1934, à la Galerie Pierre [Loeb], Balthus expose une série de chefs-d'oeuvres, aujourd'hui des grands classiques de la peinture du XXe siècle : La Rue, La Toilette de Cathy, Alice, et La Leçon de guitare (qui fait scandale). Aujourd'hui, les historiens de la peinture (Jean Clair, Virginie Monnier, Sabine Rewald) estiment que la connaissance des processus de l'inconscient dont font preuve ses tableaux ne peuvent venir que de sa fréquentation de Pierre Jean Jouve et (surtout ?) de Blanche Reverchon. A l'époque ses tableaux sont connus de Breton et des Surréalistes, mais son "naturalisme" leur déplait. L'un de ses tout premiers tableaux vendus de Balthus est Alice au miroir, grand portrait d'une femme (le modèle est Betty Leyris, 23 ans) aux yeux blancs (morts ?), à la chevelure fantomatique, à la silhouette lourde et provocante. C'est le couple Jouve qui l'achète en 1934. Le tableau est accroché dans leur chambre. Jouve sera un des grands commentateurs de Balthus, et il écrira plusieurs textes importants sur Alice. Les commentateurs modernes voient dans cette toile (aujourd'hui au Centre Pompidou) des correspondances parfaites avec l'oeuvre de Jouve, au point que certains lecteurs (Jean-Paul Louis-Lambert) voient dans cette femme — qui ne présente qu'un seul sein — une figuration de "Lisbé" en tant qu'imago créée par le couple Pierre et Blanche Jouve lors de ce qui serait un "transfert sauvage" entre le poète à la psyché débordante et son épouse psychanalyste. En 1935, le jeune Balthus est recruté pour peindre les décors des Cenci d'Antonin Artaud, et Jouve soutient les deux créateurs par une chronique dans la NRF (juin 1935). Jouve et Balthus seront très liés. En 1939, Jouve et Balthus célèbreront l'église de Larchant, Jouve par des poèmes, Balthus par un des plus beaux tableaux du XXe siècle. Pendant la seconde guerre mondiale, Balthus et les Jouve seront en Suisse et se verront régulièrement. C'est à partir de cette période que Jouve commencera à écrire régulièrement sur le jeune peintre. La correspondance de Balthus et sa fiancée Antoinette de Watteville (malgré la brièveté des informations) nous apprend bien des choses, à la fois sur le peintre, sur ses relations avec les Jouve, et sur Jouve et sa femme. Balthus insiste sur son amitié pour les Jouve : des "admirables amis qui font beaucoup pour [lui]" (sans détails, lettre du 16 août 1935). Balthus nous apprend que Jouve était gravement "neurasthénique" et qu'il devait parfois aider Blanche pour lui venir en aide pendant ses crises dépressives les plus sévères. Balthus n'apprécie guère ce rôle d'infirmier psychiatrique, mais il l'accepte. Balthus retournera en Engadine avec les Jouve pendant le mois d'août 1936. |
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"... ce pauvre Jouve qui, en général, est un homme exquis, mais qui devient tout à fait insupportable quand il tombe dans ses états de neurasthénie." (Balthus) |
"Quant
à moi, j'ai reçu hier un télégramme de Blanche et de Madge,
m'appelant à leur secours : Jouve, à l'approche de son retour
à Paris, est de nouveau tombé dans une de ses crises de
neurasthénie, le pauvre, et il a besoin de moi paraît-il, car je
suis « le dieu qui donne de la force à ceux qui n'en ont pas
ou plus."
(Lettre de Balthus à Antoinette de Watteville, 24 septembre 1935)
"Mais le voyage a été assez
désagréable, avec ce pauvre Jouve qui, en général, est un homme exquis,
mais qui devient tout à fait insupportable quand il tombe dans ses
états de neurasthénie — Enfin sa femme et Madge m'ont dit que je leur
avais sauvé la vie à tous." (Lettre de Balthus à Antoinette de
Watteville, 7 octobre 1935)
Dans une lettre, Antoinette nous informe (avec un point de vue que nous pouvons ne pas partager) sur l'existence d'un groupe créé par Pierre Jean Jouve et Blanche Reverchon. Ceus-ci faisaient se rencontrer les patients de Blanche et les amis artistes de Jouve. Parmis ceux-ci, il y aura le musicologue Pierre Souvchinsky (futur co-créateur du Domaine musical, avec Pïerre Boulez que Jouve a aussi connu), le poète anglais David Gascoyne (le plus grand poète surréaliste d'outre-manche), le compositeur italien Giacinto Scelsi (l'un des cinq ou six plus grands compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle). Antoinette n'était absolument pas préparée à recevoir le message psychanalytique, car : "J'ai trouvé horrible toute cette
clique autour de Jouve dont j'avais trop attendu, toute cette ambiance
psychanalytique me paraît plutôt antipathique. J'ai constaté avec
Souvchinsky, un russe absolument charmant et gentil, que dans ce
cercle, un être dépourvu de complexes devient un être inférieur. Jouve
est un homme d'une grande intelligence et sûrement très talentueux,
mais profondément neurasthénique et en cela totalement sous la coupe de
sa femme, une psychanalyste très célèbre." (Lettre d'Antoinette de
Watteville à son frère Robin, 11 décembre 1935).
Les témoignages sur cette époque par Isabel Ryan nous informe sur certains amis des Jouve (artistes amis de Pierre et patients de Blanche) de la deuxième moitié des années trente, comme la princesse Bianca Loewenstein, sculptrice (dont Scelsi parle aussi dans ses souvenirs), Felicia et Bob Schuster, Maud Burt (la directrice de l'Institut Britannique) que l'on retrouve présents dans la correspondance de Balthus. Isabel Ryan estime que ces rencontres entre artistes et patients faisaient l'objet d'une dynamique de groupe (voulue par Blanche) destinée à traiter des patients qui étaient souvent des dépressifs suicidaires. Et Pierre Jean Jouve lui-même était à la fois un artiste créateur — et un "patient" de Blanche.
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La
Scène capitale (Gallimard) 1935 |
En octobre 1935 paraît La Scène capitale, un des plus hauts chefs-d'oeuvres de la prose française du XXe" siècle. "La Scène capitale (1935) est le haut lieu et la fiction centrale de l'oeuvre de Pierre Jean Jouve. Dans la prose d'imagination, en ce siècle, il est peu d'oeuvres qui égalent ces deux récits. Ils sont restés ce qu'ils étaient à leur première apparition : des objets fascinants, capables de nous troubler profondément et d'envahir notre rêve." (Jean Starobinski) Ce "roman" contient deux épisodes de style très diférent, mais qui illustrent la même thématique. Le premier, La Victime, raconte l'histoire tragique de Dorothée, "la fausse morte-fausse vivante", victime d'un acte amoureux interdit. Le second, d'une écriture étincelante et aux multiples strates, met en scène "Le personnage d'Hélène, qui
inityie l'adolescent Léonide, héros narrateur de Dans les années profondes,
à l'amour et à la mort, à la conscience de soi et à la vocation
poétique, puis qui devient, par son sacrifice au faîte du désir,
l'image mythique dont les prmeiers poèmes de Matière céleste célèbrent
les multiples éclats — le don et la perte, la beauté dans la mort."
(Jérôme Thélot)
"La Victime" est dédiée à Balthus. En 1937 (ou en 1939-1946 ?), le peintre réalise un tableau très cruel et puissant qui interprète le thème de "La Victime". On peut considérer qu'un autre grand tableau de Balthus, "La Montagne" (1935-1937), donne sa vision personnelle de l'Engadine de "Dans les années profondes" de Jouve, tout en y intégrant sa mythologie personnelles (les femmes qu'il a aimées). |
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Matière Céleste |
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Hélène Urne,
illustrée par un dessin de Balthus
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En mai 1936, paraît une belle plaquette réalisée par le typographe-éditeur-poète GLM (Guy Levis Mano), intitulée Hélène. On y retrouve le personnage d'Hélène, morte, qui fait l'objet d'élégies somptueuses, célébrant la magnificience de la femme aimée morte — magnifique parce que morte : Que tu
es belle maintenant que tu n'es plus
En septembre 1936, Jouve publie une
nouvelle plaquette chez GLM, Urne,
illustrée par un dessin de Balthus représentant une jeune femme en
longue robe, que l'on voit de dos, et qui s'attaque sauvagement à un
arbre dans une clairière. En ce temps-là, Balthus illustrait à
sa façon Les Hauts de Hurlevent
d'Emily Brontë, et ce dessin appartient à cette mythologie.
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Matière céleste
(Gallimard) La Tragédie de Roméo et Juliette de Shakespeare, Traduction de Pierre Jean Jouve et Georges Pitoëff (Gallimard, juillet 1937) Tombeaux d’Amour, deux sonnets de William Shakespeare, traduit par Pierre Jean Jouve, (GLM, Novembre 1937) |
En Janvier 1937, Jouve publie Matière céleste, un des sommets de la poésie française, qui reprend les poèmes d' "Hélène" et de "Urne", en y ajoutant trois autres sections : "Nada","Matière céleste" et "Récitatif". « Hélène vêtue de rochers et costumée des fleurs de l’herbe, Hélène imprégnée de ciel, Hélène gouffre d’harmonie et d’éternelle chaleur, voilà ce qu’évoquent Matière Céleste et le Pays d’Hélène. La matière céleste ne sera rien d’autre que ce corps retrouvé et rendu à la présence. Hélène ressuscite dans les signes transfigurés de la terre et des montagnes. Le paysage, blason d’Hélène, figure dans sa splendeur, la gloire secrète d’un être perdu. Celle qui n’est plus devient le paysage en sa plénitude. Aussi bien chacun des détails de son corps deviendra t-il détail du paysage et figurera une dimension du développement cosmique d’Hélène ; d’après Salah Stetié ce « panféminisme mystique devient le lieu le plus intense et le plus vrai de cette poésie ». (Béatrice Bonhomme, Quête). |
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Une admiration depuis 1932 : Alban Berg |
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En 1932, Jouve avait ouvert son recueil Histoires sanglantes, par un récit, "La Fiancée", qui était une libre variation sur le thème de Wozzeck, l'opéra d'Alban Berg (1925) d'après la pièce de Georg Büchner. | |||||||||||||
Le violoniste Louis Krasner (1903-1995) Jouve a assisté à la création à Barcelone (19 avril 1936) et au concert de Paris (26 novembre 1936) où le violoniste Louis Krasner a joué le concerto d'Alban Berg À la mémoire d'un Ange (NRF, janvier 1937) |
En janvier 1937, paraît
également, dans la NRF, une grande chronique
musicale de Jouve, A
la Mémoire d'un Ange : elle fera date. En effet, le 19 avril
1936,
Jouve était à Barcelone où il a assisté à la création du très célèbre Concerto à la mémoire d'un Ange, le
chef-d'oeuvre qu'Alban Berg
a écrit rapidement après la mort de la jeune Manon Gropius (22 avril
1935, à 18 ans, de poliomyélite), la fille d'Alma Mahler et du
fondateur du Bauhaus, Walter Gropius. Ce concerto pour violon, commandé
par son créateur, le violoniste Louis Krasner, sera également son
propre Requiem, car Berg
meurt
prématurément (septicémie) le 24 décembre 1935. Jouve décrit l'intense
émotion vécue par les interprètes et les auditeurs pendant l'exécution
de l'oeuvre, reprise ensuite dans différentes villes européennes, et à
Paris le 26 novembre 1936. Pendant
le concert de Barcelone, les
auditeurs ont aussi entendu les canons qui tonnaient : la guerre civile
espagnole avait commencé. Jouve ramena de son séjour des poèmes dédiés
à
l'Espagne. Son article sur le concerto de Berg contient des
phrases qui montre son intution concernant la "Catastrophe européenne"
en cours : Œuvre
à la fois rigoureuse et incertaine, elle a pour nous valeur de
chef-d'œuvre dans la mesure où elle accepte
d'incarner sous une formle de beauté qui est la nôtre le passage de la
catastrophe, de la destruction, telle que nous la connaissons
aujourd'hui, en nos personnes et dans l'air de la société. (NRF, janvier 1937).
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Paradis
perdu, 2ème
édition, Paris GLM, avec la préface « La Faute » et 12 gravures de Joseph Sima pour les 50 premiers exemplaires. (janvier 1938) Dédicacé à Jean Paulhan |
Depuis 1928, Jouve et Sima travaillent à la réalisation d'une édition de grand luxe du Paradis perdu. Sima a réalisé (au moins) douze gravures. Le texte, sans les gravures, est paru une première fois en 1929 chez Grasset, Gallimard ayant refusé la publication du livre illustré. Des gravures de Sima serviront pour d'autres poètes, et deux paraissent dans le n°2 du Grand Jeu (1928). En 1938, Sima a gravé (au moins) une nouvelle gravure (le frontispice) et la belle édition rêvée par Jouve paraît enfin chez le grand éditeur typographe GLM (Guy Levis Mano). Jouve traduit sa douloureuse expérience des années trente, la rencontre tragique d'Eros et Thanatos, dans une nouvelle préface, "La Faute". C'est un des grands livres illustrés du XXe siècle. |
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Jean-Paul
Louis-Lambert |
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Biographie — Sources |
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Les
Biographies de références de Pierre Jean Jouve |
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Autres sources biographiques |
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Le Roman de Lisbé et le Mythe d'Hélène — Sources |
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Le Roman
de Lisbé et le mythe d'Hélène Jouve a donné sa version du roman de Lisbé dans le chapitre "Hélène" d'En miroir (1954) |
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Ce parcours biographique |
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la Responsabilité de Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
Pages réalisées par Jean-Paul Louis-Lambert Dernière mise à jour : 20 novembre 2017 Précédente mise à jour : 13 janvier 2012 Première édition : 7 mars 2011 |