Site Pierre Jean Jouve
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par Jean-Paul Louis-Lambert et Marie-Antoinette Laffont-Bissay |
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Henri Le Fauconnier |
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Portrait cubiste de Jouve par Henri Le Fauconnier - 1909 |
Dans son roman de 1928, Hécate, Jouve met en scène son héros-double, le philosophe des mathématiques Pierre Indemini, dans le rôle du modèle d'un peintre. Encore couchée dans son lit, Catherine Crachat le voit de chez elle : "Entre le fond de l'atelier et le balcon [...] était le modèle du peintre. La position donnée au modèle faisait que le modèle me regardait. Je tremblais d'abord, je reçus une secousse comme lorsqu'on entre dans l'eau froide." C'est que Jouve se souvient qu'en 1909 il posait pour son ami, le peintre cubiste Henri Le Fauconnier (1881-1946) qui en a donné "le portrait dans le style fauve qu'on peut voir aujourd'hui au Musée d'Art Moderne" (En miroir, 1954). Le portrait a été présenté au Salon d'Automne de 1909. Il a été acheté en 1946 auprès de Paul Castiaux. ► Lire le point de vue de Claude Laugier sur le Site du Centre Georges Pompidou qui cite une appréciation très élogieuse de Gleizes (« Le dessin [...] m’était apparu comme possédant la clef de mes
aspirations »). |
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Albert Gleizes |
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En 1909, Jouve fait imprimer son premier livre à quelques exemplaires
par l'imprimeur de l'Abbaye, Lucien Linard. Il est illustré par un dessin d'Albert Gleize, le peintre cubiste, l'un des fondateurs historiques (avec Georges Duhamel, René Arcos, Charles Vildrac et Alexandre Mercereau) du mouvement de l'Abbaye. Ce livre
est introuvable et fait le désespoir des collectionneurs. La B.N.F. en
possède un exemplaire "non communicable" (cote : RES M-YE - 1040)
et une photocopie. On peut en consulter une version
numérisée très fidèle. |
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Gaston Thiesson |
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Jouve avait connu le peintre Gaston Thiesson
(1882-1920) à Poitiers. Thiesson était un ami de Charles Vildrac.
Thiesson était venu en Suisse en octobre 1915 pour rencontrer Romain
Rolland. Fin octobre 1915 Jouve vient également en Suisse, et il
s'installe à Fontana près de chez Thiesson. Roland Roudil nous a fait connaître les relations du peintre et de l'écrivain. Thiesson a laissé une série de dessins. On peut y voir Jouve (►), mais aussi Gaston Gallimard provisoirement installé, lui aussi, à Montana.
Thiesson a laissé des portraits d'amis proches, dont celui d'Andrée Jouve (▼).
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Edmond Bille |
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Les lecteurs du Monde désert, le roman que Jouve publie au milieu de 1927, connaissent Edmond Bille (1878 à Valangin -1959 à Sierre), peintre qui a servi de modèle à "Siemens". Pendant la première guerre mondiale, à Sierre, l'artiste recevait des pacifistes français, Romain Rolland, Pierre Jean Jouve, René Arcos. ◄ En 1916, aux éditions de la revue militante Demain, Jouve publie Poème contre le grand crime C'est Edmond Bille qui a illustré la couverture. En 1971, Jouve a retrouvé S. Corinna Bille
(1912-1979), la fille de son ami. Celle qu'il a connue petite fille est
devenue romancière : il préface son recueil de nouvelles, Juliette éternelle qui est illustré par René Auberjonois, artiste que Jouve avait dû connaître à Genève pendant la seconde guerre mondiale (tous deux ont collaboré à la revue Lettres). |
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Frans Masereel |
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Frans Masereel : Portrait expressioniste de Jouve pour "Prière", Stock, 1924 © ADAGP, 2013, BnF, Réserve des livres rares |
◄Ce
portrait de Jouve, le plus célèbre, appartient à sa période reniée ! Il
s'agit d'une des dernières collaborations de Jouve avec le graveur Frans Masereel, sans doute le plus grand artiste expressionniste
ayant exercé en France. Masereel (1889-1972) est belge. Il a travaillé
en Belgique, en France, en Allemagne, en Suisse. Il a participé
activement à la vie des pacifistes français regroupés autour de Romain Rollanden
Suisse durant la Première Guerre mondiale. Tandis que ses
compagnons, journalistes, écrivains, militants avaient recours à leur
plume pour faire entendre leur voix, Masereel s'exprimait surtout par
de magnifiques gravures
sur bois illustrant les périodiques et les livres de ses amis.
Masereel,
quand il travaille seul, s'adonnait à un genre spécifique : le "roman
graphique", suite de gravures (une par page) illustrant une idée, ou un
thème, ou la vie d'un personnage. Son roman graphique le plus célèbre
est La Ville (1925, 100 gravures). Celui qui a le plus de points communs avec les thèmes de Jouve est Mon Livre d'Heures (1926, 165 gravures, avec une préface de Thomas Mann). En 1919, Masereel et René Arcos créent à Genève les Éditions du Sablier
qui commencent leurs activités en publiant, dans l'ordre chronologique
: Romain Rolland, René Arcos, Jouve, Georges Duhamel, Masereel (pour un
"roman graphique" : Le Soleil, 63 gravures), Walt Whitman, Charles Vildrac, Andreas Latzko et un volume collectif : Les Poètes contre la guerre. Parmis ces auteurs, on reconnaît plusieurs Abbés de Créteil, écrivains progressistes devenus pacifistes. Mais avant de publier Heures Livres de la nuit,
Jouve avait déjà collaboré avec Masereel pour son recueil de récits
inspirés de son expérience d'infirmier bénévole dans un hôpital pour
soldats malades : Hôtel-Dieu — Récits d'Hôpital en 1915
(avec 25 gravures de Masereel), d'abord édité par les auteurs (à leur
compte) en 1918, puis réédité par Ollendorf en 1919. Masereel
avait aussi certainement réalisé les couvertures typographiques de Danse des morts (1917 et 1918). Heures — Livre de la Nuit (1919, avec un frontispice de Masereel) sera suivi par un livre dans le même esprit, Heures — Livre de la Grâce (1920), dédié à leur ami commun, Stefan Zweig. Il sera suivi d'un livre sans gravure, Toscanes, mais on peut supposer que Masereel, artiste fécond et travailleur infatigable, a réalisé les couvertures typographiques de ces trois livres que Jouve rééditera en 1922 sous le titre collectif Tragiques (suivi de Voyage sentimental, chez Stock). En 1923-1924, pour l'unique fois de sa vie et pour un an seulement, Jouve dirige une collection chez Stock, Poésie du temps qui s'arrête après 6 ouvrages. Masereel collabore activement à cette collection en réalisant les décors des couvertures, toutes différentes. Il grave aussi les portraits de trois des auteurs : Rabindranath Tagore (pour Cygne, 1923, traduit par du Bengali par Kâlidâs Nâg et Pierre Jean Jouve) ; Frans Werfel (pour L'Ami du Monde, traduit par Charles Baudouin, un ami de Jouve) ; et surtout Jouve lui-même pour Prière (1924) : c'est le portrait le plus répandu de l'écrivain ◄, celui qui est reproduit sur les jaquettes des deux volumes d'Œuvre au Mercure de France (1987). Mais ces années-là, Jouve est en train de rompre avec sa première vie, sa première femme, sa première oeuvre et ses premiers amis. Jouve va cesser de travailler avec Masereel. A partir de 1925, c'est Joseph Sima qui va être le collaborateur le plus régulier de Jouve, d'ailleurs en octobre 1924, paraît un livre qui marque cette transition: pour Les sept mers de Rudyard Kipling, la traduction est de Maud Kendall (une amie du couple Blanche Reverchon-Pierre Jean Jouve) et de "Daniel Rosé" (pseudonyme de Jouve, "Rosé" est le nom de sa mère) ; la couverture (qui représente une mer avec une grosse vague) a été dessinée par Frans Masereel ; le portrait de Kipling a été gravé par Joseph Sima. J.-P. L.-L. |
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Un exemple de collaboration de Jouve et Masereel ► Heures — Livre de la grâce 1920, édité par les auteurs, Librairie Kundig, Genève
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Willy Eisenschitz |
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Jouve en 1925 par Willy Eisenschitz (tableau non localisé, connu par cette seule photo) |
En 1932, Jouve publie un recueil de "contes", Les Histoires sanglantes. Le dernier texte, "Le Château", est dédié à Willy Eisenchitz. Ce texte, hélas, sera supprimé en 1961, quand Jouve réunit, au Mercure de France, les récits de Histoires sanglantes (1932) et de La Scène capitale (1935) en un seul volume intitulé : La Scène capitale. En construction
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Une biographie très documentée : ► |
le discours de réception de Jean Perreau aux Heures de l'Académie du Var : "L'Expressionnisme modéré de Willy Eisenschitz (1889-1974)". |
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Joseph Sima |
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Joseph Sima : portrait constructiviste de Pierre Jean Jouve |
Pierre Jean Jouve rencontre Joseph
Sima, peintre et graveur français d’origine
tchèque (Jaromer 1891 – Paris 1971), en 1923 par l’intermédiaire de son épouse, Blanche Reverchon-Jouve.
C’est une année cruciale pour le poète qui vit, de 1922 à 1925, une crise
sentimentale, littéraire et psychanalytique. Les années 1925-1927 sont tout
aussi décisives pour le peintre puisqu’il « traverse une crise
philosophique profonde qui le conduit à prendre ses distances avec le mouvement
constructiviste [Popelard, p. 67]. » C’est également la période où il
prend ses distances avec les membres du Grand Jeu. Le peintre accueille, chaque
jeudi, dans son atelier Roger Gilbert-Lecomte, Léon-Pierre Quint, René Daumal,
Roger Vailland pour réfléchir à de nouveaux modes d’être, à les expérimenter
dans et par l’écriture pour vivre hors du monde habituel comme l’explique
Gilbert-Lecomte : « Il faut se mettre dans un état de réceptivité
entière, pour cela être pur, avoir fait le vide en soi. De là notre tendance
idéale à remettre tout en question dans tous les instants. [...] Une immense
poussée d’innocence a fait craquer pour nous tous les cadres des contraintes
qu’un être social a coutume d’accepter » [Leclair, p. 313]. Sima
illustrera les quatre numéros de la revue Le
Grand Jeu (1928-1932). Le poète et le peintre visent tous deux une
sublimation dans leurs arts : Jouve, par le biais d’une démarche mystique
pour se détacher de la Faute présente ici-bas afin de résoudre la dialectique
d’Éros et de Thanatos, afin d’atteindre la Rédemption au sein de ses vers et
donc sortir de ce « malheur existentiel » pour laisser résonner le
« chant de délivrance » [Arfeu, p. 238], celui de l’Unité ;
Sima, par le refus d’une reproduction fidèle et imitative du monde vu et
observé car il souhaite la retranscription de ce réel vivant selon les émotions
sincères éprouvées en son contact. Les émotions sont indispensables pour passer
de l’accidentel à l’essentiel et saisir ainsi l’acmé de la vision du paysage
par exemple. Le peintre est alors « investi d’une mission essentielle,
celle de faire percevoir le Symbole, c’est-à-dire la réunion des éléments
dispersés qui doit faire sens. » [Watthee, p. 112]
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Un lien existe bien entre la poésie de Jouve et la peinture de Sima |
Un lien existe bien entre la poésie
de Jouve et la peinture de Sima non sur le mode de la stricte imitation mais
comme démarche et pensée créatrices présentes dans des rapprochements
thématiques et dans les moyens d’expression utilisés. Cette amitié humaine et
grandement intellectuelle est visible au moins de deux manières : par les
rapprochements possibles entre des poèmes et des toiles de Sima comme le prouve
l’utilisation de motifs communs aux deux artistes notamment l’eau, la lumière,
les arbres et par les différentes illustrations qu’effectue Sima pour les
livres de Jouve. À ce propos, il faut distinguer les illustrations pour les
livres publiés des tableaux faits par Sima comme Le Portrait imaginaire de Paulina dessiné en 1925 pour le premier
roman de Jouve, Paulina 1880, des
gouaches, des portraits de Pierre Jean Jouve, et ceux de Blanche
Reverchon-Jouve (les pointes sèches pour Beau
Regard sont sans doute des portraits de Blanche). |
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Les illustrations de Sima pour les recueils de Jouve sont nombreuses |
Les illustrations pour les recueils de Jouve
sont nombreuses et s’étalent sur plus de 25 ans, témoignant ainsi de l’amitié
des deux artistes, de l’influence artistique, philosophique, spirituelle que
l’un porta à l’autre et ce, de manière réciproque. On relève : - le portrait de Rudyard Kipling
pour Les sept mers, traduit par Maud
Kendall et Jouve (sous le pseudonyme de « Daniel Rosé ») pour sa
collection, « Poésie du temps » (Stock, octobre 1924), - le Portrait de Pierre Jean Jouve, dessin à la plume réalisé à l’encre
de Chine et au pastel, et gravé sur bois en 1925, pour Les Nouvelles Noces (Paris, Éditions de la Nouvelle Revue
Française, septembre 1926), - les illustrations de Beau Regard, récit poétique au
sous-titre très évocateur, Conte illustré
d’images dessinées et gravées par Joseph Sima (Paris, Au Sans Pareil en
1927 puis chez Fata Morgana en 1987 avec la reproduction des illustrations de
Joseph Sima) : 3 pointes sèches hors texte et 15 bois dans le texte, - les gravures pour Le Paradis
perdu effectuées entre 1928 et 1938 qui apparaissent « comme le sommet
de cet échange poétique » [Watthee, p. 98] entre le peintre et le poète. |
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Le Paradis perdu |
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Voici la liste des gravures qui sont
présentes dans Le Paradis perdu pour
l’édition de GLM (Guy Levis Mano) et l’ordre dans lequel elles figurent : Absence de lieu et nulle proportion (en 1928, cette gravure s’intitulait Les Nombres), Les Anges aux cheveux blancs, L’Invention de la douleur, Le Paradis (Jardin d’Eden), Le Double Adam, Du sentier et de la femme, L’Arbre et la main, Faute, Destruction, Travaille à fixer le bois au silex, Le Paradis revient. |
Sur cette collaboration,
Marie-Hélène Popelard précise que « Sima réalisa donc en tout vingt
eaux-fortes, dont douze seulement furent retenues pour l’édition, huit
supplémentaires en suite, dont six connues. » [Popelard, p. 93] C’est
durant l’été 1927 alors que Sima est invité chez les Jouve à Carona que naît
l’idée d’illustrer ce recueil. Durant cette année, le peintre effectue dix-sept
dessins mais lors de l’impression du Paradis
perdu en 1937 par Guy Levis Mano – après une première publication non
illustrée en 1929 chez Bernard Grasset –, les desseins artistiques de Sima ont
considérablement évolué s’inspirant beaucoup plus des mythes grecs. C’est
pourquoi « l’illustration fut entièrement repensée, au moins cinq planches
furent écartées, dont la première version du Double Adam, La chute, Le donneur de conseil et deux gravures
déplacées ; d’autres échangent leurs titres, certaines enfin sont
probablement ajoutées (les trois dernières du livre). » [Popelard, p. 69] |
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Joseph Sima, La Putain de Barcelone, huile sur toile, 1937 © ADAGP, 2013, BnF, département des Manuscrits |
- Sima réalise également les 49 Lettrines pour la plaquette Kyrie (G.L.M en avril 1938) ; il
s’agit de dessins reproduits à plus petite échelle par un procédé
photomécanique, - une lithographie, en plus de celles d’André Masson et de Balthus, pour Langue aux Éditions de l’Arche en 1952 réédité (sans illustrations) au Mercure de France en 1954, A ces illustrations, ajoutons des peintures
(gouaches, huiles) faites en référence à des livres de Jouve, comme Matière Céleste paru en 1937, ◄ ainsi La Putain de Barcelone, qui reprend le
titre d’un poème de ce recueil. Finalement, il suffit de relire les
mots que Jouve écrit à Sima pour le remercier des gouaches inspirées par Matière céleste afin de comprendre la
force et la profondeur de leurs reconnaissances artistiques, poétique et
picturale : « Vous êtes un prodigieux artiste et un
visionnaire ; plusieurs de ces images expriment tellement ce que je
ressens qu’elles sont comme de moi-même, ainsi celle de Nada, celle de Urne. Mais
l’admirable mouvement de cœur qui vous a donné l’idée de les ajouter au beau
livre leur confère je ne sais quel mystère, une qualité vraiment
extraordinaire. C’est comme si vous pensiez avec moi. » [Popelard, p. 67] Marie-Antoinette
Bissay |
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Bibliographie |
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A lire sur le site pierrejeanjouve.org ► |
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André Masson |
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Pierre Jean Jouve : André Masson Préface de Bernard Noël Editions Dumerchez, 1994 |
Nous sommes peu informés sur les relations entre Jouve et le grand peintre André Masson (1896-1987) — un des artistes
majeurs du Surréalisme (il rejoindra André Breton à New-York en 1941
où, avec Matta et Max Ernst, il participera
à la formation de jeunes peintres américains débutants comme Jackson
Pollock ou Arshile Gorky) — un des compagnons de route de Georges
Bataille (il a été l'illustrateur le plus fréquent pour des textes publiés
sous le manteau ou par D.-H. Kahnweiler ou par G.L.M.) — marié à Rose Macklès (la
soeur de Sylvia Bataille, la seconde épouse de Jacques Lacan pour qui
il a fait le tableau qui cachait L'Origine de monde de Courbet) — et (pour nous, lecteurs), illustrateur d'un très grand nombre de beaux « livres d'artistes » : après ceux déjà nommés, Breton (Martinique Charmeuse de serpents, 1948) et Bataille (L'Anus solaire, 1931), citons brièvement : Michel Leiris (Simulacres, 1925 ; Glossaire j'y serre mes gloses, 1940), Robert Desnos (C'est les bottes de 7 lieues ..., 1926 ; Les sans-cou, 1934), André Malraux (L'Espoir, 1946) et Pierre Jean Jouve : Sueur de Sang (1933) et Langue (1952). Les relations de Jouve avec les compagnons de Masson, Breton
ou Bataille, sont obscures (mais Jouve connaissait très bien des amis
communs à Masson et Bataille : Balthus, Klossowski, Lacan), et nous ne savons pas comment
Jouve a connu Masson. Peut-être est-ce par l'intermédiaire de René Laporte, le directeur des éditions Les Cahiers libres de 1924 à 1934 ? Laporte publiait les poètes surréalistes (Le Revolver à cheveux blancs de Breton, par exemple), souvent illustrés par des peintres (Foujita, Ernst, Dali).
Mais Masson fréquentait aussi le salon de Thérèse Aubray, poète et
traductrice, qui appartenait au premier cercle des Cahiers du Sud ;
elle était l'épouse du musicien Fernand Drogoul qui a aidé Jouve à lire
la partition du Don Juan de Mozart : il y avait là un réseau d'amis communs — en 1941, pour Les Cahiers du Sud, Masson a illustré les Oeuvres complètes d'André Gaillard (1894-1929), un autre membre de ce groupe. En 1933 paraît aux Cahiers libres la première édition de Sueur de sang. Les
quinze premiers exemplaires (aujourd'hui très rares) s'ouvrent sur une
magnifique gravure de Masson. L'image est toute remplie de sueur et de
sang : à sa manière, Masson a ainsi réellement illustré Jouve. Frappé par cette œuvre, Jouve écrit « Piéta » qui paraît en 1934 comme finale de la deuxième édition de Sueur de sang, toujours aux Cahiers Libres. Ce poème est dédié « Á André Masson ». Dans sa Correspondance avec Kahnweiler, Masson écrit le 1er novembre 1934 : « Je vais écrire à Jouve ; je suis très content qu'il écrive quelque
chose à mon sujet parce que j'aime beaucoup ce qu'il écrit et je suis
d'accord avec lui sur ce qu'on doit entendre et retenir dès qu'il
s'agit de poësie. » On
retrouve de temps en temps la trace de cette relation entre Jouve et
Masson : ainsi un critique (Rémi Labrusse) a montré que le poème « Les
Papillons » de Matière céleste (1937), « Ces fauves ont l'accent et la fatalités de deux visages », faisait référence au « Minotaure », la quatrième gravure de Masson pour Sacrifices de Georges Bataille, publié par G.L.M. en 1936. Or, c'est justement chez Guy Levis Mano, le grand éditeur-typographe-poète, que Jouve publie « Hélène » (1936) qui deviendra la première section de Matière céleste (on trouvera plus d'explications dans l'édition de Jérôme Thélot en Poésie/Gallimard). Au printemps 1936, Jouve assiste à Barcelone à la création du Concerto à la Mémoire d'un Ange d'Alban Berg. André Masson écrit dans une lettre du 28 avril 1936 à Kahnweiller : « J'ai eu aussi deux fois la visite de P. J. Jouve, fixé à Barcelone pour quelque temps. » |
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André Masson (1940), réédition par André Dimanche Marseille, 1993 |
En 1940, Robert Desnos et Armand Salacrou prennent
l'initiative de publier un (gros) livre sur leur ami André
Masson, alors déprimé. Salacrou est le véritable éditeur (anonyme) et
il a fait appel à l'imprimeur Wolf qui travaillait pour l'entreprise de
son père au Havre. Le générique est prestigieux ; il regroupe en 1940
des auteurs qu'on voit rarement ainsi réunis : Jean-Louis Barrault,
Georges Bataille, André Breton, Robert Desnos, Paul Éluard, Armel
Guerne, Pierre Jean Jouve, Madeleine Landsberg, Michel Leiris, Georges
Limbour, Benjamin Péret. Jouve commente les dessins Massacres que Masson lui a prêtés, ainsi que les gravures de Sacrifices et les dessins pour Mythologie de la Nature. « Les Massacres, avec leur écriture contrapontique, forment un "tableau mental" dont on peut dire qu'il est vrai et sain, ce qui, dans les circonstances du sujet, n'est pas un petit paradoxe » Le livre a été réédité à l'identique par André Dimanche en 1993. Dans la réédition de deux textes de Jouve sur André Masson (par Dumerchez en 1994), Bernard Noël écrit dans la préface : « Le texte de Jouve en est l'une des contributions majeures avec celui de Georges Bataille intitulé "Les Mangeurs d'étoiles". La manière plus allusives de Jouve, mais non moins tranchante, couvre le même arrière-plan excessif que celle, plus violente, de Bataille — et le temps nous a découvert combien leurs oeuvres sont parentes de celles de Masson. » En 1952, un alors petit éditeur, L'Arche, publie un magnifique livre d'artiste, le recueil Langue illustré de trois litographies par André Masson, Balthus et Joseph Sima imprimées à Aix-en-Provence par Léo Marchutz. Là encore, le tirage est très faible (28 exemplaires), aussi cette édition est très rare.
En 1955, le Mercure de France réédite à l'identique la 3ème édition (1935, Gallimard) de Sueur de Sang
dont « Piéta » forme alors l'avant-dernière section. Mais quand, à partir de
1964, Jouve restructure son œuvre poétique en quatre volumes, « Piéta »
a disparu, aussi on ne peut plus lire ce poème dans l'édition accessible
aujourd'hui (Noces, suivi de Sueur de Sang dans la collection Poésie/Gallimard). On peut le regretter. J.-P. L.-L.
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Sources |
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G.L.M. |
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En construction |
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Balthus |
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Jouve et Balthus : une « sacra conversazione » |
« Rilke avait donc été, entre 1920 et 1926, [le] père spirituel [de Balthus]. Mais, tout aussitôt après sa mort, et sans discontinuité, Pierre Jean Jouve lui succède dans cette sacra conversazione. », Jean Clair, Balthus, Flammarion, 2008. «
Comme dans toute grande peinture, les toiles sont au service d'un
programme iconographique complexe. Balthus n'a jamais rien dit sur ce
programme ; toutefois, quand on lui soumettait une hypothèse, si elle
était bonne, il laissait entendre qu'on avait visé juste. Par exemple,
nombreux sont les tableaux à être des illustrations quasi littérales des
poèmes de Pierre Jean Jouve. », Jean Clair, entretien pour Le Figaro, 16 juin 2008. |
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1933-1935 |
Période de Sueur de Sang et de La Scène capitale |
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L'amitié de Pierre Jean Jouve et Blanche Reverchon avec Balthus
a été longue et fructueuse, et de nombreus échos apparaissent dans les
ouvrages publiés par les spécialistes de l'oeuvre du peintre, par
exemple : ◄ Balthus sous la direction de Jean Clair, avec des contributions de Robert Kopp, James
Lord, Sabine Rewald, Giorgio Soavi, Virginie Monnier, Sylvia Colle... (Flammarion, 2088).
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1933 |
En 1934, le couple Pierre et Blanche Jouve achète le tableau Alice qui sera accroché dans la chambre. Aujourd'hui, Alice au miroir appartient aux collections du Centre Georges Pompidou : ► Alice au Miroir sur le Site du centre Georges Pompidou avec le point de vue d'Isabelle Monod-Fontaine. |
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◄ Dans le catalogue de l'exposition Balthus du Centre Georges Pompidou (5 novembre 1983-23 janvier 1984), le commissaire de l'exposition, Gérard Régnier (Jean Clair), donne une anthologie très complète des textes critiques et des poèmes en vers et en prose que Jouve a consacrés à Balthus :
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Sur « Alice » de Balthus et « Le Tableau » de Jouve |
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1936 |
Jouve possédait un autre tableau de Balthus : ►le portrait de Thérèse sur le site de la Fondation Balthus |
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1937 |
La Suisse et ses paysages, qui ont tant compté pour Jouve, ont aussi été peints par Balthus : ►La Montagne sur le site de la Fondation Balthus |
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En 1937 ou 1939-1946 |
(la date est discutée), Balthus peint son terrible tableau qu'il intitule La Victime.
[Virginie Monnier écrit :] « Le visage tuméfié, le corps bleui, elle a, peut-être été victime d'un viol comme l'héroïne éponyme du roman de Pierre Jean Jouve (1935) qui est dédicacé à Balthus. Entre la mort et la vie [...]» |
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1938 |
Balthus n'a quasiment jamais illustré des livres d'écrivains (ses illustrations pour Les Hauts de Hurlevent ont un tout autre statut). Ses deux participations à des livres de Jouve sont donc exceptionnelles. En 1938, Jouve publie Urne chez GLM, plaquette (très rare) qui s'ouvre sur un dessin de Balthus. |
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1939 |
L'Église de Larchant par Jouve et Balthus | ||||||
Sur
"Le Bois des Pauvres", Jouve donne à la fin de ses différentes éditions
une "Note" qui précise que Larchant est un village au sud-ouest de
Fontainebleau où l'on peut admirer la ruine d'une église du XIIIe siècle jadis
rattachée à Notre-Dame de Paris.Jouve, puis Balthus, ont illustré cette église. Jouve a écrit (au moins) trois poèmes. Celui de 1938 (publié dans Kyrie),
a sans doute été composé sous le choc visuel de cette église largement
détruite mais qui reste extêmement impressionnante à voir. | |||||||
L'église de Larchant que Balthus a peint en 1939 depuis le point de vue dit "Banc de Balthus"► Photo MCH (2009) |
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►Sur le site de la fondation Balthus : Le tableau avec l'Église de Larchant |
Jouve a écrit les poèmes
de 1942 et 1943 en Suisse, pendant la Seconde Guerre
mondiale, dans le sentiment de nostalgie qui envahissait l'esprit du
poète exilé. On peut supposer que Jouve a fait connaître cette église à Balthus vers 1938 ou 1939. Balthus a peint un magnifique paysage depuis un lieu qui s'appelle aujourd'hui encore "le banc de Balthus". La photo ci-dessus ▲ reprend à peu près le cadrage du tableau, mais le paysage a bien changé en 70 ans. |
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1938, 1942, 1943 |
Larchant : les Poèmes de Jouve |
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Kyrie "Les quatre cavaliers" Gallimard, 1938, p. 83. |
Ta ruine, église de Larchant Se jette à l'infini comme le miel [...] | ||||||
Rééditions |
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Vers Majeurs L.U.F., Fribourg, 1942, p. 28 | "Mémoire de Larchant"
Te reverrai-je oh jamais dans ce monde
Cathédrale de l'air visage ruiné Sur la perfection bleuâtre des forêts [...] | ||||||
Rééditions |
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Le Bois des Pauvres L.U.F., Fribourg, 1943, p. 11 | "Le Bois des Pauvres"
Elancé de Larchant l'oiseau tirait son vol Il se posait bientôt, c'était le bois des Pauvres [...] | ||||||
Rééditions |
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1952 |
En 1952, Jouve publie Langue (L'Arche) avec trois lithographies, par Balthus, Masson et Sima, imprimée à Aix-en-Provence par l'artiste lithographe Léo Marchutz. |
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Documentation réunie par J.-P. L.-L ►Voir aussi sur ce site : "Des amis de Pierre et Blanche Jouve : Balthus et ses proches" |
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Sources |
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Léo Marchutz |
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En construction | |||||||
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En 1952 L'Arche, publie un magnifique livre d'artiste, le recueil Langue, poèmes de Pierre Jean Jouve, illustré de trois litographies par André Masson, Balthus et Joseph Sima imprimées à Aix-en-Provence par Léo Marchutz. |
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Cassandre | |||||||
En construction Larchant,
le tableau de Balthus, a été la propriété de Cassandre, ami et disciple
de Balthus, auteur d'affiches célèbres, peintre des décors du Don Juan
du festival d'Aix-en-Provence le 18 juillet 1949. Cassandre fit les gravures du Décor de Don Juan, texte de Jouve, publié en 1957 à Genève chez Kister. | |||||||
En construction
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2013 |
Philippe Roman |
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Philippe Roman, peintre, disciple de Balthus, a été le patient de Blanche Reverchon et l'ami du couple Blanche et Pierre. « Il
peignait lentement, avec des pinceaux très fins, par petites touches, à
l'image de ses couleurs posées sur sa palette. [...] Vernissant entre
chaque couche, laissant sécher durant des mois et revernissant après
avoir poncé, ce qui donne ce glacis si particulier et diaphane à ses
tableaux. » (Emmanuel Boncenne)
« Emmanuel Roman,
filleul de Pierre Jean Jouve, a fait don au département des Manuscrits
d’un ensemble de documents relatifs au poète, accompagné de dessins de
son père, le peintre Philippe Roman. Grâce à ce don, l’œuvre de Jouve
se trouve doublement éclairée : dans sa genèse d’abord, à travers
manuscrits, dactylographies, correspondance, objets et œuvres ayant
appartenu à l’auteur de Sueur de sang ; mais aussi dans sa réception,
puisque nombre de dessins et de tableaux de Philippe Roman sont
inspirés de l’univers de Jouve, ou en reflètent les thèmes. »
(Guillaume Fau, commissaire de l'exposition)
une exposition Philippe Roman et ses amis (Balthus, S. Szafran, R. Mason, I. Theimer, O. O. Olivier, X. Valls, D. Hockney, J. Ortner , V. Jordan Roman, J. Erhady, R. Guinan, A. Bracquemond, R. Granet). Une salle sera consacrée aux portraits de P. J. Jouve et des vues de Sils-Maria. ◄ Philippe Roman, Promenade avec Pierre, huile sur Toile, B.N.F., Département des manuscrits. | |||||||
Source ► |
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A lire sur le site pierrejeanjouve.org ► |
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Voir aussi |
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